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DARWIN

et non autrement, et que cela a été vrai à un moment quelconque de l’histoire du monde. Je ne pense pas que quelqu’un songe à s’inscrire en faux contre une assertion aussi banale et, cependant, c’est là tout le principe du grand évolutionniste anglais.

Si l’on remonte très loin dans les périodes géologiques et que l’on divise le temps écoulé en une infinité d’intervalles très petits, d’une seconde par exemple, il sera vrai, à la fin de chaque intervalle, que, à ce moment précis, les choses sont comme elles sont et non autrement ; personne n’en peut douter. Il sera vrai aussi — nos connaissances actuelles nous autorisent à l’affirmer — que, dans un intervalle d’une seconde, beaucoup de choses auront changé ; l’état du monde, à la fin d’une seconde donnée, sera donc différent de ce qu’il était à la fin de la seconde précédente ; le monde aura évolué. Ces deux propositions sont l’évidence même.

Il reste à établir un troisième point, qui ne sera pas évident comme les deux premiers : c’est que l’état du monde à la fin d’une seconde donnée résulte de ce qu’il était à la fin de la seconde précédente, et de l’action des causes naturelles dans cet intervalle d’une seconde. Si vous admettez cette proposition, vous êtes déterministe, c’est-à-dire que vous croyez que l’état actuel du monde était déterminé fatalement par son état à la fin de la période primaire par exemple, autrement dit que le monde silurien avec ses trilobites devait conduire fatalement à notre monde actuel, où il n’y a plus de trilobites, mais où il y a des hommes, des chevaux, des éléphants, qui n’existaient pas à l’époque silurienne. Divisez en effet en intervalles d’une seconde le temps qui s’est écoulé depuis l’époque silurienne ; l’état du monde au commencement d’un intervalle détermine fatalement l’état du monde à la fin de cet intervalle, puisque vous admettez que, seules, des causes naturelles ont agi pendant la seconde considérée ; un mathématicien idéal, connaissant toutes les lois naturelles et l’état exact du monde à un moment quelconque, eût donc pu prévoir rigoureusement ce que devait être l’état du monde une seconde plus tard, et ainsi de suite, de seconde en seconde, jusqu’à maintenant.

Voilà ce que prétend Darwin, bien qu’il n’ait jamais ex-