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LA REVUE DE PARIS

qui méritent d’être étudiées à part, bien qu’elles soient étroitement mêlées dans son livre. La première et la plus importante, c’est une colossale accumulation de faits admirablement observés et ingénieusement rapprochés, qui constituent ce que l’on peut appeler la preuve du transformisme ; la deuxième est le principe de la sélection naturelle, par lequel l’auteur relie et explique tous ces faits. En réalité, le principe de la sélection naturelle, tel que l’a utilisé son auteur, n’explique pas tout, mais il paraît tout expliquer, et cette illusion a, sans doute, été pour beaucoup dans le succès du livre de Darwin. Il est probable que, en 1859, bien peu de gens eussent été capables d’accepter les preuves du transformisme sans une explication qui parût satisfaisante ; d’ailleurs, indépendamment de sa valeur explicative, le principe de la sélection naturelle relie admirablement les faits accumulés dans l’Origine des Espèces, qui, sans ce fil d’Ariane, eût été un dédale inextricable où les plus ingénieux se seraient perdus. Il est donc indispensable d’exposer d’abord ce principe, qui relie toutes les pièces de l’édifice.

On a critiqué la sélection naturelle ; des hommes occupant une haute situation scientifique, tels que Flourens, ont essayé d’en ridiculiser l’auteur ; or, le principe de Darwin est une vérité évidente. Il n’en est pas de même de l’explication de la formation des espèces à l’aide de ce principe, ou du moins de ce principe seul ; ici, la discussion est permise, et il est même facile de réfuter victorieusement l’argumentation de Darwin. Dans l’Origine des Espèces, le principe et les applications du principe sont si intimement mélangés que l’on a pu croire que la sélection naturelle était inséparable du transformisme. Or, cela est faux, et je dirai même que ces deux questions sont absolument indépendantes l’une de l’autre ; mais il est curieux de constater que la plupart des premiers adversaires de Darwin se sont attaqués au principe de la sélection naturelle, croyant attaquer le transformisme même, et se sont heurtés ainsi à une cuirasse sans défaut.

On pourrait dire que le principe de la sélection naturelle expose que les choses sont à chaque instant comme elles sont,