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ce qu’il y avait. Et l’on échangeait des avis sur la manière de me capturer.

» Étendu sur le sol, épouvanté, j’avais perdu mon sang-froid. Si singulier que cela puisse paraître, il ne me vint pas à l’esprit, sur le moment, d’ôter mes vêtements comme j’aurais dû le faire. Je m’étais mis dans la tête de m’en aller avec, et cette idée-là seule me dirigeait.

» Cependant, l’inspection des comptoirs se termina par ce cri : « Il est là ! » Je sautai sur mes pieds, je pris vivement une chaise et la jetai dans les jambes de l’imbécile qui avait crié ; me retournant, je tombai sur un autre, au coin de la galerie, je l’envoyai rouler et me mis à grimper l’escalier quatre à quatre. Celui-ci se releva, hurla quelque chose comme : « Taïaut ! taïaut ! » et, plein d’ardeur, se précipita dans l’escalier à ma poursuite. Tout en haut étaient empilés, en foule, de ces vases aux couleurs éclatantes… vous savez bien ?

— Des vases d’art, suggéra Kemp.

— Oui, des vases d’art. Je tournai à la dernière marche, j’en pris un dans une pile et je le lui écrasai sur la tête, à cet imbécile, quand il arriva jusqu’à moi. Mais toute la pile de pots s’écroula : j’entendis des cris et des pas venant de toutes parts. Je me ruai vers le buffet : il y avait là un homme vêtu de blanc, une espèce de cuisinier qui, lui aussi, me donna la chasse. Un dernier détour désespéré : je me trouvai au milieu des lampes et de la quincaillerie. Je me réfugiai derrière le comptoir, j’attendis mon cuisinier, et, au moment où il s’élançait, le premier de la meute, je lui portai, avec une lampe, un coup droit qui le plia en deux. Il tomba ; et moi, me blottissant dans ma cachette, je me mis à me dépouiller de mes vêtements le plus vite possible. Pardessus, veston, pantalon, chaussures, cela allait bien ; mais un gilet en laine d’agneau colle sur le corps, comme la peau. J’entendis venir les autres ; le cuisinier, étourdi ou muet de terreur, gisait immobile de l’autre côté du comptoir : il fallait donner encore une fois tête baissée, comme un lapin qui débouche d’un tas de bois.

» J’entendis quelqu’un crier : « Par ici, monsieur l’agent ! » Je me retrouvai de nouveau dans mon magasin de literie,