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ma porte. Je l’entendis arriver d’un pas traînant jusqu’à mon étage ; il hésita, puis redescendit. Je me remis sur-le-champ à mes préparatifs.

» Tout fut achevé dans la soirée, dans la nuit. J’étais là immobile, sous l’influence pénible et soporifique des drogues qui décolorent le sang : on frappa des coups à la porte. Cela cessa, des pas s’éloignèrent, puis ils revinrent et l’on se remit à heurter. Bientôt on essaya de glisser quelque chose sous la porte, un papier bleu : dans un accès d’impatience, je me levai, j’allai ouvrir la porte toute grande. « Eh bien ! » m’écriai-je. C’était mon propriétaire, porteur d’un avis d’expulsion. Il me le tendit, remarqua dans l’aspect de mes mains quelque chose d’insolite, je pense, et leva les yeux sur mon visage.

» D’abord, il demeura bouche béante ; puis il poussa une sorte de cri inarticulé, laissa choir à la fois chandelle et papier, et s’enfuit à tâtons par le corridor obscur, dans la direction de l’escalier. Je refermai la porte et tournai la clef. M’étant approché de la glace, je compris son effroi : j’avais la figure toute blanche, couleur de pierre.

» Ce fut tout à fait horrible. J’avais compté sans la souffrance. Nuit d’angoisse déchirante, de nausées, de défaillance. Je claquais des dents quoique ma peau fût en feu, tout mon corps en feu ; et j’étais là gisant comme un cadavre. Je comprenais maintenant pourquoi le chat s’était plaint jusqu’au moment du chloroforme… Il était bien heureux que je vécusse seul et abandonné dans ma chambre. Il y avait des instants où je sanglotais, où je gémissais, où je parlais ; mais je tenais bon… Je perdis connaissance ; puis je m’éveillai, tout languissant, dans la nuit noire.

» La douleur avait cessé. Je me disais que j’étais en train de me tuer, mais je n’en avais cure. Je n’oublierai jamais le lever du jour et l’horreur éprouvée à voir mes mains devenues comme du verre dépoli, puis plus transparentes et plus fines à mesure que la clarté augmentait ; enfin, je pus voir au travers, et malgré mes paupières closes, l’affreux désordre de ma chambre. Mes membres devinrent vitreux ; les os et les artères s’évanouirent, disparurent, les petits nerfs blancs passèrent les derniers. Je grinçais des dents, mais