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passa en revue les serrures de sa chambre ; il inspecta les deux cabinets de toilette pour se convaincre qu’il avait là encore une double voie de salut ; finalement, il se déclara satisfait. Il était alors debout, sur le tapis du foyer ; Kemp entendit le bruit d’un bâillement.

— Je suis fâché, — lui dit son hôte, — de ne pouvoir vous raconter dès ce soir tout ce que j’ai fait ; mais je suis à bout de forces. C’est ridicule, sans doute !… Croyez-moi, Kemp, en dépit de vos raisonnements de ce matin, la chose est parfaitement possible. J’ai fait une découverte. J’avais l’intention de la garder pour moi. Je ne peux pas. Il faut que j’aie un associé. Et vous… Nous pouvons faire des choses… Mais, à demain ! En ce moment, c’est pour moi le sommeil ou la mort.

Kemp se tenait au milieu de la chambre, les yeux fixés sur ce mannequin sans tête.

— Je vais vous laisser, n’est-ce pas ?… C’est incroyable… Ah ! il ne faudrait pas trois aventures de ce genre-là, bouleversant toutes mes idées, pour me rendre fou. Et c’est pourtant vrai !… Y a-t-il encore quelque chose que je puisse faire pour vous ?

— Rien, rien, que de me dire bonsoir.

— Eh bien, bonsoir ! répondit Kemp, en étreignant une main invisible.

Il se dirigeait obliquement vers la porte, quand, tout à coup, la robe de chambre vint sur lui à grands pas :

— Écoutez-moi bien. Pas de tentative pour me ligoter, pour s’emparer de moi ! ou…

Le visage de Kemp prit une expression particulière :

— Je croyais, répliqua-t-il, vous avoir donné ma parole.

Puis il ferma la porte doucement derrière lui, et aussitôt il entendit tourner la clef à l’intérieur. Des pas rapides allèrent à la porte du cabinet de toilette, et celle-ci fut également fermée à clef.

Kemp se frappa le front :

— Est-ce que je rêve ? Est-ce le monde qui est devenu fou, ou moi ?

Il éclata de rire, et, mettant la main sur la porte close :

— Être chassé de ma propre chambre par une absurdité manifeste !