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— Il avait peur de moi, je voyais bien qu’il avait peur de moi, — répéta l’homme invisible à plusieurs reprises. — Il voulait me lâcher ; il guettait sans cesse autour de lui… Que j’ai été sot ! Le mâtin !… je l’aurais tué…

— Mais où aviez-vous eu cet argent ? demanda Kemp brusquement.

L’homme invisible demeura silencieux un instant.

— Je ne peux pas vous le dire ce soir.

Il gémit tout à coup et se pencha en avant, sa tête invisible appuyée sur des mains invisibles.

— Kemp, dit-il, je n’ai pas dormi depuis bientôt trois jours. Je n’ai fait que m’assoupir une heure ou deux. Il va falloir que je dorme.

— Soit, prenez ma chambre, prenez cette chambre.

— Mais comment puis-je dormir ? Si je dors, il s’en ira… Bah ! qu’est-ce que cela fait ?

— Et votre blessure ? Qu’est-ce que c’est ?

— Rien, une égratignure. Oh ! Dieu, comme j’ai sommeil !

— Eh bien, pourquoi ne pas dormir ?

L’homme invisible parut considérer Kemp.

— Parce que j’ai des raisons particulières de tenir à n’être pas pris par mes semblables.

Kemp ouvrit de grands yeux.

— Imbécile que je suis ! — s’écria l’autre, en frappant sur la table violemment. — Je viens de vous souffler une idée !


XVIII

L’HOMME INVISIBLE DORT


Épuisé et blessé comme il l’était, l’homme invisible ne voulut pas s’en rapporter à la parole de Kemp, l’assurant que sa liberté serait respectée. Il examina les deux fenêtres de la chambre à coucher, leva les stores et ouvrit les châssis pour vérifier s’il pourrait, au besoin, comme le disait Kemp, s’esquiver par là. Au-dehors la nuit était calme et silencieuse ; la nouvelle lune se couchait de l’autre côté des dunes. Griffin