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derrière lui un cri de rage, dominant tout le brouhaha, et une claque retentissante qui s’abattait sur la joue de quelqu’un. Cette voix, il la reconnut, c’était celle de l’homme invisible.

Une seconde après, M. Cuss était de retour dans le salon.

— Le voilà qui revient, Bunting ! — dit-il en s’élançant à l’intérieur. — Prenez garde à vous !

M. Bunting se tenait dans l’embrasure de la fenêtre, tout entier à la tâche entreprise de se composer une tenue décente avec le tapis de foyer et un numéro de la gazette du comté.

— Qui revient ? demanda-t-il, en tressaillant si fort que son costume faillit se défaire.

— L’homme invisible ! — répondit Cuss en se précipitant à la fenêtre. — Nous ferions mieux de vider les lieux. Il se bat comme un enragé !

Une seconde après, M. Cuss était dans la cour.

— Juste ciel ! — s’écria M. Bunting, hésitant entre deux alternatives épouvantables.

Il entendit alors une lutte terrible dans le corridor de l’auberge. Sa résolution fut aussitôt prise. Il sauta par la fenêtre, ajusta son costume à la hâte et s’enfuit à travers le village aussi vite que le lui permirent ses petites jambes grasses.


Depuis le cri de rage poussé par l’homme invisible et la fuite mémorable de M. Bunting, il est impossible de donner un compte rendu suivi des événements. Il se peut que l’intention première de l’homme invisible ait été de couvrir simplement la retraite de Marvel, porteur des vêtements et des livres. Mais son caractère, qui n’était jamais bien égal, semble avoir ressenti quelque saute de vent : il se mit à frapper, à renverser tout le monde, pour le plaisir, par amour de l’art.

Figurez-vous la rue pleine de gens qui courent ; les portes se ferment avec violence ; on se bat pour trouver un refuge. Imaginez les envahisseurs qui rencontrent l’échafaudage, en équilibre instable, la planche et des chaises du vieux Fletcher : imaginez-vous le cataclysme ! Ailleurs, c’est un couple épouvanté, cruellement surpris sur une balançoire. Le flot tumultueux a passé : la grande rue d’Iping, avec ses jeux et son pavoisement, est déserte : seul, du moins, le fléau invisible continue d’y sévir. Çà et là, les débris du jeu de