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la revue de Paris

20 mars. — Nous sommes à Noailles. Hier soir, à onze heures et demie, est arrivé tout à coup l’ordre de départ. Toute la maison militaire s’est réunie au Champ de Mars sous les ordres du duc de Raguse, on s’est formé précipitamment en bataille, et à minuit nous nous sommes mis en marche par une pluie torrentielle. Nous sommes partis par le pont d’Iéna, avons tourné à droite pour gagner les Champs-Elysées, et sommes sortis de Paris par le rond-point de l’Arc-dc-Triomphe. Nous suivons ensuite les boulevards extérieurs et nous nous dirigeons sur Saint-Denis en passant par la route de la Révolte. À la Chapelle, nous trouvons l’infanterie de la maison du roi et les Cent Suisses partis en avant. Les escadrons montés, gardes du corps, gendarmes, chevau-légers, mousquetaires gris et noirs, forment un total considérable de chevaux, auxquels vient s’ajouter l’artillerie qui se compose de douze bouches à feu commandées par Casimir de Mortemart. Nous passons par Beaumont et arrivons à Noailles où nous couchons ; Monsieur et monseigneur le duc de Berry nous accompagnent et y passent également la nuit. Le temps est affreux, et la pluie et le vent qui font rage au milieu de l’obscurité ajoutent encore au tragique de ce départ. Le roi s’est décidé brusquement à se mettre en route hier soir, à minuit, et s’est dirigé sur Lille, mais on ignore si, de Beauvais, il a pris la route d’Abbeville ; personne n’avait été prévenu, paraît-il, mais tous les ministres ont quitté Paris dans la nuit. Je n’ai pu aller dire adieu à Amélie[1]. Pendant une longue halte que nous avons faite aux Champs-Elysées, je ne sais trop pourquoi, je lui ai écrit, à la lueur d’une lanterne qui s’éteignait à chaque instant, deux mots au crayon sur un bout de papier tout trempé de pluie, que je ne sais si elle pourra déchiffrer ; la pauvre petite va être malade d’inquiétude.


21 mars. — Nous arrivons à Beauvais où nous faisons une halte ; nous couchons à Gravilliers où nous parvenons la nuit. Je loge chez un apothicaire. Je touche seize mille francs pour la compagnie. Il est probable, hélas ! que nous ne recevrons pas d’autre argent d’ici longtemps. Nous avançons à marches for-

  1. Amélie de Fromont, vicomtesse de Reiset.