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la route de l’exil

3 mai. — Voici ce que m’écrit de Colmar ma sœur Mimi[1] : « Le général Rapp[2] est venu nous voir et nous a demandé de tes nouvelles avec tout l’intérêt possible ; nous lui avons dit avec un peu d’embarras que tu étais fort souffrant en ce moment que tu nous mandais qu’à peine si ton bras blessé te permettait de nous écrire quelques lignes et que tu désirais rester à l’écart sans nous expliquer autrement. — Oui, oui, je vois bien qu’il s’entête, a-t-il répondu, c’est un brave garçon que Tony, un homme d’honneur, et qui, lorsqu’il le voudra, sera avantageusement placé ; sa fidélité est louable, sans doute, mais il faut savoir se soumettre aux événements. Dites-lui de ma part que l’Empereur sait rendre justice à ceux qui ont fait leur devoir jusqu’au bout. Dites-lui qu’il se hâte, d’ailleurs le roi lui-même a licencié toute l’armée, cela ne le met-il pas à l’aise ? — J’ai gardé le silence, et il rEest plus revenu sur ce sujet ; il nous a beaucoup parlé de toute la famille et a dit les choses du monde les plus obligeantes à maman pour elle et pour chacun de ses enfants. »

6 mai. — Bonaparte a quitté les Tuileries depuis quelques jours pour s’installer à l’Elysée ; on s’étonne de ce changement. Cela ne l’empêche pas de se rendre à la messe en musique le dimanche aux Tuileries où il y a réception et audience. Malgré tout cet appareil, les mauvais symptômes qu’on remarque depuis quelque temps s’accentuent, et l’opinion fait tous les jours de nouveaux progrès contre lui. L’enthousiasme des premiers temps, d’abord si grand, s’affaiblit maintenant peu à peu d’une façon incontestable ; la principale cause est l’effroi que cause la perspective de la guerre. Napoléon a beau affirmer que la paix ne sera pas troublée, les décrets pour rappeler les hommes en congé, la mobilisation de la garde nationale et les préparatifs qu’on fait partout sont la meilleure preuve que la guerre est inévitable, et qu’il s’y attend.

  1. Marianne Jeanne de Reiset, née en 1768, morte en i853, fiancée à Kléber, puis mariée au chevalier de Scliiélé, secrétaire du roi, commissaire des guerres, chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d’honneur.
  2. Le général comte Rapp, né à Colmar en 1772, dans une situation des plus modestes, avait de grandes obligations à la famille de Reiset, qui l’avait fait instruire et lui avait félicité ses débuts, lorsqu’il s’était engagé à seize ans.