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la route de l’exil

30 mars. — Je pars avec La Salette pour Oisemont et nous rejoignons la grand’route. Avant de descendre la côte qui mène à Blangy, nous rencontrons une grande berline dans laquelle se trouve madame de Vaudreuil qui rejoint les princes. Elle me reconnaît et s’arrête pour me parler, me dit qu’elle gagne la frontière et s’informe de ce que je vais faire. Je lui explique que je rentre en France pour assurer la sécurité de ma femme et de mes enfants et m’entendre avec mon frère, puis que mon premier soin sera de venir rejoindre les princes. Elle me souhaite bonne chance, bon courage, et s’éloigne. Elle a eu le temps cependant de me donner quelques nouvelles de Paris : elles sont navrantes ; depuis cinq jours, Napoléon est aux Tuileries où il parle et agit en souverain ; il est entré dans Paris le soir même du départ du roi ; la moitié de la France est déjà de nouveau soumise à son autorité. Nous laissons nos chevaux à Blangy, en recommandant à nos domestiques de prendre la route de Saint-Germain pour y demeurer jusqu’à ce que je leur envoie des ordres. C’est Jean qui est chargé de la conduite.

Les moyens de transport sont rares et les communications difficiles ; nous parlons cependant en poste et en carriole pour Rouen, mais à Foucarmont il n’y a plus aucune espèce de voiture, ni carriole, ni charrette ; nous partons alors à franc étrier sur de très mauvais chevaux. Je suis mortellement inquiet de tous les miens dont je n’ai pas de nouvelles et qui ne savent rien de mon sort, je brûle le pavé et pars en avant, laissant en arrière La Salette, dont la monture ne peut me suivre. J’arrive à Neufchâtel, où je m’occupe de moyens de transport pour pouvoir repartir dès le lendemain matin.


31 mars au matin. — Je parviens à trouver une mauvaise carriole à prix d’or. La Salette a réussi, malgré sa monture, à me rejoindre dans la nuit, aussi je ne veux pas perdre une minute ; avant le jour, à quatre heures du matin, nous nous mettons en route pour Rouen où nous arrivons chez mon frère[1]. Je ne trouve à la recette générale que ma belle-sœur

  1. Jacques de Reiset, receveur général des finances du département du Haut-Rhin, puis du Mont-Tonnerre et de la Seine-Inférieure, chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d’honneur (1771-1836).