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la revue de Paris

était en son pouvoir et on ne peut lui décerner que des éloges ; c’est l’esprit déplorable des troupes qui a rendu la position du roi impossible à Lille, et le duc de Trévise était si peu sûr des soldats que pour garder, rue de Tournai, l’hôtel de la Préfecture où devait descendre Sa Majesté, il avait mis comme factionnaires des officiers au lieu de simples soldats.

Il est extrêmement malheureux que les troupes aient été ramenées du camp de Péronne dans la ville, car, sans leur présence, la maison militaire eût pu rejoindre le roi et lui former une garde suffisante pour sa sûreté. La population, elle, était on ne peut mieux disposée ; lorsque le roi est entré à Lille, c’était jour de marché, et les habitants des campagnes aussi bien que ceux de la ville l’avaient accueilli avec acclamations. Le maréchal Macdonald a accompagné le roi jusqu’à la frontière, à Menin, avec le 23e cuirassiers qui lui servait d’escorte ; puis, sur le désir de Sa Majesté, qui a pensé que sa présence en France pourrait être utile, il a rebroussé chemin. En remerciement de sa fidélité et de son dévouement, le roi lui a remis une tabatière avec son portrait entouré de diamants. Le comte de Brigode, chez lequel il a logé pendant son séjour, a reçu le collier de commandeur de la Légion d’honneur. Pourrait-on croire que, au milieu du désarroi général, dans ces circonstances tragiques, le prince de Condé, qui était venu rejoindre le roi, a poussé l’aberration jusqu’à s’informer si Sa Majesté ferait le lendemain, jeudi saint, la cérémonie du lavement des pieds à douze pauvres, comme c’était l’antique usage des rois de France !! Le roi l’a regardé sans répondre et s’est contenté de hausser les épaules. Le pauvre prince n’a plus toujours les idées nettes et ne jouit plus par moments de toutes ses facultés, c’est sa seule excuse.

Il paraît que Sa Majesté avait quitté Paris si vite que l’on n’avait eu que le temps de jeter à la hâte un seul rechange dans un porte-manteau ; dans l’affolement du départ le porte-manteau a été perdu ou volé et le roi s’est trouvé sans chemises ni chaussures. On a couru toute la ville pour trouver des pantoufles assez larges pour soulager Sa Majesté, que la goutte tourmente, et dont les pauvres pieds ne peuvent supporter que des chaussures molles et d’une ampleur démesurée.