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la route de l’exil

de les en tirer. Les voitures, les fourgons particuliers des princes et le peu d’artillerie amené jusque-là est définitivement abandonné. On se heurte à chaque instant à des troncs d’arbres couchés de distance en distance au travers de la route pour consolider le terrain, et qui flottent dans une boue liquide au milieu de ces dangereux obstacles. La pluie, le vent font rage, et l’obscurité complète rend la marche encore plus pénible et périlleuse. Le désordre et le désarroi s’accentuent encore. Je tâche de remonter le moral de mes pauvres gardes et de les encourager en leur donnant moi-même l’exemple ; mais ils lisent sur mon visage mon anxiété et mon chagrin. Découragés par les privations et l’incertitude, ils se demandent avec inquiétude où tendent ces marches et ces contre-marches, vers un but qu’on n’atteint jamais, que la défection des garnisons voisines rend à chaque instant plus périlleuses, et s’inquiètent à juste titre du sort qui va leur être réservé. Je les adjure quand même de faire jusqu’au bout leur devoir, et enfin, au petit jour, nous débouchons près de Neuve-Église, sur la route pavée qui forme la frontière de Belgique. Nous suivons ensuite la chaussée où chaque corps doit se réunir et se grouper. Je cherche alors à rallier mes hommes, et j’arrive à rassembler à peu près tout mon monde ; j’y parviens non sans peine : pourtant, mes hommes étant mieux montés peut-être, ma compagnie n’a pas de trop grands vides.

Enfin les princes arrivent, et, après une longue conférence, nous annoncent qu’ils se voient contraints de prendre congé de nous. Chaque commandant de troupes est appelé ; Monsieur leur parle en sanglotant, les remercie au nom du roi et les charge de témoigner à la troupe sa douleur et son désespoir d’être obligé de les quitter sans employer le zèle d’aussi braves gens ; mais des considérations supérieures arrêtent le roi, qui veut éviter toute effusion de sang. Sa Majesté doit être en sûreté maintenant au delà de la frontière, où l’a escortée le 12e cuirassiers, et il y a tout lieu d’espérer que son exil ne sera pas long. Son Altesse Royale ajoute encore qu’il voudrait pouvoir nous emmener tous, mais que ses modestes ressources ne lui permettent pas d’entretenir des troupes et surtout un aussi nombreux corps d’armée ; faire un choix entre nous lui serait impossible ; il lui faut donc se résigner à nous licencier