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la revue de Paris

admettre des corps où les simples soldats ont le rang d’officier. Outre l’animosité politique, il y aurait donc la jalousie et les vengeances particulières qui se donneraient libre cours.

Tout cela a décide Monsieur à se diriger sans retard sur Lille, où un courrier lui a appris la présence du roi. Sa Majesté y est arrivée le 22, à midi, et a donné l’ordre que sa maison militaire vînt le rejoindre au plus tôt. Nous nous sommes donc mis en route, avec tout ce qui est en état de marcher, par la route la plus courte. Le duc de Raguse a décidé de s’éloigner des garnisons frontières et nous prenons constamment les chemins de traverse pour éviter la rencontre de détachements hostiles. Nous nous dirigeons sur Estaires, mais les chemins sont si mauvais que nos chevaux enfoncent dans la boue jusqu’au ventre et ont peine à s’en tirer ; d’ailleurs hommes et chevaux sont épuisés par ces cinq jours de marche et absolument rendus par ces fatigues incessantes. Cette pluie continuelle contribue encore à abattre le moral et le physique. Les routes sont noyées. Enfin, avec des difficultés infinies, nous arrivons à Estaires à dix heures du soir pour nous reposer quelques heures, après avoir laissé beaucoup de monde en arrière.


25 et 26 mars. — À une heure du matin tout est de nouveau changé. Monsieur a reçu des nouvelles et apprend que le roi, ne se trouvant plus en sûreté à Lille, a quitté la ville hier soir pour se diriger vers la Belgique. Il faut donc se résigner à changer de direction, car il y a impossibilité à faire entrer dans la place la maison militaire, vu le mauvais esprit des troupes, qui s’opposeraient sûrement à sa venue. Les princes veulent rejoindre le roi et gagner la frontière, qui n’est distante que de deux lieues. Les gardes du corps suffisamment montés vont seuls protéger leur retraite, car les bouches à feu ont été emmenées jusqu’à Armentières, mais n’ont pu aller plus loin, et la plus grande partie des troupes à pied est restée à Béthune avec le gros des fourgons et des bagages. Nous reparlons tristement. La route est de plus en plus effroyable, nous suivons toujours des chemins de traverse défoncés et boueux qui se changent à chaque pas en fondrières dangereuses, où nombre de chevaux s’embourbent sans qu’il soit possible