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la route de l’exil

qu’on a dû placer à ses côtés deux gardes qui ont dégainé. C’est dans la très modeste chambre d’une maison voisine de la poste que le roi s’était arrêté pour se reposer ; la population l’a envahie en un instant et ne se lassait point de considérer avec attendrissement son malheureux souverain. Il y a encore des gens de cœur !


24 mars. — J’arrive à Béthune où je suis acclamé avec la compagnie. Le roi a traversé la ville à cinq heures du matin et s’est arrêté sur la place pour changer les chevaux. Malgré l’heure matinale, la ville entière se pressait autour de lui.

Pendant que j’étais en train de rafraîchir, nous avons eu une seconde alerte beaucoup plus sérieuse que celle de la veille. Le 3e régiment de lanciers de monseigneur le duc de Berry, qui a passé à l’Empereur, a paru brusquement aux portes de la ville dont on lui a refusé l’entrée. Tandis que toutes les troupes de la maison militaire couraient aux armes pour leur barrer le passage, les lanciers prenaient l’offensive et se formaient en bataille. Prévenu de ce qui se passe, le duc de Berry paraît, il franchit les portes, et s’avance seul vers le colonel auquel il reproche durement d’abandonner son drapeau et de renier la croix de Saint-Louis que lui-même lui a récemment attachée sur la poitrine. Mais le colonel reste impassible, et le prince n’est pas plus heureux en s’adressant aux simples soldats qu’il presse inutilement de crier : « Vive le roi ! » Enfin, hors de lui, en proie à la plus violente colère, le prince les menace, et leur ordonne de se retirer. Le colonel hésite un instant, puis il commande par quatre et se porte en arrière, pendant que le duc de Berry rentre dans la ville dont les portes se referment. Par sa présence d’esprit, monseigneur le duc de Berry a évité une collision terrible, mais rien ne dit que les lanciers ne reviendront pas à la charge cette nuit, et cette fois en plus grand nombre. Les troupes de ligne saisiraient avec empressement l’occasion d’en venir aux mains avec la maison militaire, toute l’armée en général ayant en haine les compagnies nobles, qu’elle jalouse en raison de leur situation privilégiée. Elle ne pardonne point à la maison rouge de se recruter presque uniquement parmi les représentants des anciennes familles de noblesse et ne peut