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et vint s’asseoir à côté de Kovrine, qui reconnut aussitôt le moine noir.

Tous les deux se regardèrent, Kovrine avec étonnement, le moine, ainsi que la première fois, avec une expression maligne, comme un homme qui garde son secret pour lui.

— Mais puisque tu es un mirage,— prononça Kovrine,— comment se fait-il donc que tu demeures là, immobile ? Cela ne s’accorde guère avec la légende.

— Qu’importe ? — répliqua le moine après un silence, d’une voix basse, et les yeux dans les yeux du jeune homme. La légende, le mirage et moi-même, tout cela n’est que le produit de ton imagination surexcitée. Je suis un fantôme.

— Alors, tu n’existes pas ? demanda Kovrine.

— C’est comme tu voudras, — dit le moine, et un faible sourire apparut sur ses lèvres. — Toujours est-il que je vis en ton imagination ; or, ton imagination est une partie de la nature : il s’ensuit que, moi aussi, j’existe dans la nature.

— Tu as une figure vieille, intelligente et combien expressive ! reprit Kovrine ; on dirait que tu as déjà en effet vécu plus de mille ans. Je ne savais pas que ma fantaisie pût créer des phénomènes pareils... Mais qu’as-tu donc à me contempler ainsi, avec ravissement ? Il paraît que je te plais ?

— Oui. Tu es l’un des rares humains que l’on appellerait à bon droit les élus. La cause que tu défends, c’est la vérité, l’éternelle vérité... Oui, tes pensées, et tes volontés, et ta science digne d’admiration, ta vie entière enfin, portent l’empreinte divine, céleste, car elles sont vouées à tout ce qui est Raison, à tout ce qui est Beauté, c’est-à-dire à tout ce qui est éternel.

— Tu dis : l’éternelle vérité... Mais les hommes peuvent-ils y atteindre, les hommes ont-ils vraiment besoin de l’éternelle vérité, — s’il n’y a pas de vie éternelle ?

— Il y en a une, répondit le moine.

— Tu crois donc à l’immortalité des hommes ?

— Oui, assurément. Vous autres, vous avez devant vous un avenir sublime, un avenir resplendissant. Et plus nombreux seront les hommes pareils à toi, plus tôt cet avenir sera réalisé. Sans vous, qui défendez les principes s