Page:Revue de Paris - 1897 - tome 4.djvu/466

Cette page n’a pas encore été corrigée

franchement, tu es le seul homme auquel je donnerais ma fille sans la moindre inquiétude. Tu es intelligent, tu as du cœur, tu ne voudrais pas laisser perdre ce que j’appelle mon œuvre. Et, ce qui est l’essentiel, je t’aime comme si tu étais mon fils... Je suis fier de toi. Si, d’aventure, les choses en étaient là, si vous vous conveniez, Tania et toi, et s’il en était sorti un « roman », eh bien ! j’en serais fort content, et même très heureux. Je te le dis tout simplement, à cœur ouvert, en honnête homme.

Kovrine ne put s’empêcher de sourire. En ouvrant la porte pour se retirer, le vieillard s’arrêta encore une fois sur le seuil :

— Si le hasard voulait que vous eussiez un fils, Tania et toi, je ferais de lui un horticulteur, moi ! — reprit-il après avoir réfléchi. — D’ailleurs, ce sont là des rêves... Bonne nuit !

Resté seul, Kovrine s’étendit commodément et se mit à parcourir les brochures, Une portait ce titre : « De la culture alternante » ; une autre : « Quelques mots à propos de la remarque de M. Z... sur le binage » ; une troisième : « Encore quelques mots sur l’oculation des pensées », et le reste à l’avenant. Mais quel ton péremptoire, quelle irritation, quelle véhémence peu naturelles !

Voilà une brochure au titre absolument anodin et n’étudiant rien autre chose que la manière de cultiver une des variétés du pommier russe. Et cependant l’auteur débute par « Audiatur altera pars » et conclut par « Sapienti sat » ; et, entre ces deux sentences, une source intarissable de railleries décochées « à l’ignorance savante de nos horticulteurs patentés, qui observent la nature sans quitter leurs chaires », ou bien « à un M. Gaucher, dont le succès n’est dû qu’à des profanes et à des dilettanti ». Combien tout cela est excessif, jusqu’au regret de ne plus pouvoir fustiger les paysans qui volent des fruits et abîment les arbres !

« Voilà certes un art sain et attrayant, mais, là non plus, les passions et le goût de la chicane ne chôment point, — songea Kovrine. — Il paraît que tout homme de pensée, si restreint soit le champ de son activité, a les nerfs à vif et la sensibilité suraiguë. C’est sans doute nécessai