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la revue de paris

Ce sang qu’ils versent, c’est le sang des joueurs de paume et des sires de Gouberville.

Oh ! le grand besoin de repos qu’eut la France après cette longue crise de vaillance, et comme on lui pardonne d’avoir été jouer aux dominos au lieu de faire agir encore ses pauvres muscles lassés ! Abreuvée de ses victoires, elle s’endormit, tandis qu’à côté d’elle, la défaite, — une défaite noire, absolue, épouvantable, — avait réveillé des énergies qui ont travaillé âprement, depuis lors, à cette œuvre aujourd’hui achevée : l’empire allemand. C’est ainsi que naquit à Berlin l’athlétisme militaire.

On a souvent répété, chez nous, que sur les champs de bataille de 1866 et de 1870, le véritable vainqueur avait été le maître d’école. Je pense qu’en ceci on a fait la part trop belle à l’instituteur en oubliant un peu son collègue, le maître de gymnastique.

La gymnastique allemande, celle qui, dès le lendemain d’Iéna, trouva des apôtres ardents et convaincus pour prêcher son évangile, puis des disciples nombreux et dociles pour suivre ses préceptes, est énergique dans ses mouvements, fondée sur une discipline rigoureuse, en un mot essentiellement militaire. Partout, en Allemagne, régnaient, hier encore, la hiérarchie, l’obéissance, l’exactitude. Dès l’enfance, le petit écolier prenait sa place dans le rang et tournait ses regards vers un supérieur pour attendre de lui le mot d’ordre. Collégien, il continuait d’assouplir ses muscles et sa volonté, afin de pouvoir les mobiliser au premier signal. Étudiant, son plus grand plaisir était de se battre avec ses camarades, et les balafres qui en résultaient devenaient sur son visage autant de titres de noblesse. L’uniformité apparaissait dans les plus petits détails de son existence et la réglementation universelle semblait lui procurer une joie intérieure que les Anglais et les Français sont inaptes à saisir. Il suffit encore aujourd’hui de parcourir une université allemande, d’assister à une de ces réunions d’étudiants, où les verres se vident au commandement, pour se rendre compte de la frénésie disciplinaire qui a passé sur ce grand peuple. Dans la constitution de leur parti révolutionnaire, les socialistes eux-mêmes ont introduit quelque chose du militarisme qui imprégna l’Allemagne entière au cours du présent siècle.