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le rétablissement des jeux olympiques

pas de notre domaine. Constatons seulement que, partout, à la fin du xviiie siècle, les exercices violents, les jeux virils sont passés de mode et que les hommes vont chercher ailleurs la distraction et le plaisir. L’Angleterre elle-même présente, sous ce rapport, un aspect bien fait pour surprendre. Ce n’est plus l’Angleterre des Tudors qui vivait dans le plein air et en goûtait toutes les ivresses et ce n’est pas encore l’Angleterre de Thomas Arnold et des créateurs de l’éducation athlétique. C’est un peuple indécis chez lequel des brutalités natives se mèlent à une sorte d’amollissement, qui pourrait bien être la préface de la décadence, si Napoléon n’allait venir pour consolider la Grande-Bretagne comme le vent du nord arrête un dégel. En France, les jeux de paume sont déserts ; on y échange des serments, mais on n’y joue plus. Le temps est loin où le sire de Gouberville poussait son ballon, sur les plages du Cotentin, les dimanches après midi, entouré de la vaillante jeunesse des villages avoisinants ; où, de paroisse à paroisse se livraient ces combats homériques qu’a décrits M. Siméon Luce ; où le clergé d’Avranches lui-même, à certaine fête de l’année liturgique, descendait processionnellement sur la grève pour y faire une joyeuse partie de balle à la crosse. Tout cela est mort, et lorsque le Directoire, pénétré des souvenirs de l’antiquité, veut établir sur le Champ-de-Mars parisien quelque chose qui rappelle les Jeux olympiques, un élément indispensable lui fait défaut : les concurrents. Il en vient sans doute, comme il vient des gamins dans les foires pour tenter l’ascension du mât de cocagne et gagner le gigot traditionnel ou la bouteille de bénédictine. Mais cela ne suffit pas pour alimenter des réunions athlétiques et faute d’un Racing-Club pour les organiser et les maintenir, les courses du Directoire vécurent ce que vivent les roses, l’espace d’un matin.

Il est vrai qu’en ce même temps, sur nos frontières, puis par delà les frontières, et bien loin, au pied des Pyramides, sur le Danube, en Espagne, sous les murs du Kremlin moscovite, les soldats de France, pendant vingt ans d’une folle et sublime épopée, donnent au monde l’un des spectacles les plus athlétiques qu’il ait jamais contemplés. Ils épuisent en ce court espace de temps les forces de plusieurs générations.