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Puis le Tiers, lié à la monarchie par les mille charges de finance et de judicature, par les mille petits honneurs à ambitionner, à acquérir ou à recevoir, et qui, d’échelon en échelon, de génération en génération, le menaient à tenir sa place dans l’État ou à la Cour. Toute une hiérarchie le séparait du roi, mais cette hiérarchie avait des degrés qu’on pouvait franchir. Il était des exemples de bourgeois qui sous les rois avaient donné leurs ordres aux hommes d’épée et fait souche de ducs et pairs. À quoi n’arrivait-on pas par la finance si l’on savait marier ses filles ? Que ne pouvait-on par le Parlement dès qu’on s’était procuré une charge ? La Noblesse avait l’épée, mais le Tiers avait l’argent : il achetait tout ce qui était à vendre et déjà combien de choses à vendre ! Sans doute le Tiers avait ses frondeurs, mais ils étaient en nombre si restreint qu’à peine ils comptaient. Il fallut, pour les multiplier, le bouleversement produit dans l’enseignement secondaire par l’abolition de la Compagnie de Jésus. Tant que les effets ne s’en furent pas produits, les ambitions du Tiers allaient à garnir ses poches s’il était dans les Fermes, à s’avancer s’il était au Palais ou dans l’Administration, et, s’il n’était rien de cela, à gagner des grades dans sa ville, sa compagnie, sa jurande et son métier. Sa vanité n’attendait que des lettres patentes pour se croire appariée à la Noblesse ; ce n’était que par envie qu’il se disait égalilaire, et le roi était trop haut pour qu’il l’enviât.

La surface est cela : au profond, des vertus très grandes, d’abord le sens du respect ; puis l’instinct, le goût, la passion d’acquérir et de monter ; la patience, l’économie, l’honnêteté. Les générations comptent peu pour lui : il n’est point pressé, et sait travailler pour l’avenir.

À un roi qui sait jouer de lui, il ne refuse point de prêter son argent, pourvu qu’il croie en acheter quelque chose. Il ne donne guère son sang, parce qu’il n’en tirerait point un profit et que cela est affaire aux gentilshommes, mais qu’on le fasse noble, et il montrera que le courage s’apprend plus vite encore que les belles manières. Moins les privilèges qu’il a conquis sont importants, plus il y tient. Si l’on y touche, il s’exaspère. Ce n’est point lui qui, de lui-même, a fait la Révolution : au début, il a suivi quelques nobles déclassés et