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la revue de paris

— Qu’avait dit Imray-Sahib ?

— Il avait dit, en lui caressant la tête, que c’était un bel enfant. Voilà pourquoi mon fils est mort ; voilà pourquoi j’ai tué Imray-Sahib, le soir, quand il dormait, au retour de son bureau. Votre Seigneurie connaît toutes choses, je suis son serviteur !

Strickland me regarda par-dessus la carabine et me dit, dans la langue indigène :

— Tu es témoin de ses paroles. Il a assassiné.

Bahadur-Khan était debout ; il paraissait gris cendré sous la lumière de la lampe. Il voulut bien vite se justifier :

— Je suis pris au piège, s’écria-t-il : mais le criminel, c’est Imray-Sahib. Il a jeté un mauvais sort sur mon enfant : voilà pourquoi je l’ai tué et je l’ai caché. Ceux-là seuls qui sont servis par les diables, — et Bahadur jeta un regard furieux sur Tietjens tranquillement couchée à ses pieds, — ceux-là seuls ont pu découvrir ce que j’avais fait.

— C’était très fort !… Tu aurais du l’attacher à la poutre par une corde. Maintenant, c’est toi qui seras pendu à une corde… Ordonnance !

Un homme de police, un peu endormi, répondit à l’appel de Strickland et fut bientôt suivi d’un camarade. Tietjens ne broncha pas.

— Emmenez Bahadur au poste, dit Strickland. Il y aura une instruction à faire.

— Serai-je pendu, alors ? dit Bahadur, sans faire d’autre mouvement que de baisser les yeux.

— Si le soleil brille ou si l’eau coule, tu seras pendu, dit Strickland.

Bahadur-Khan recula d’un pas, frissonna et s’arrêta. Les deux hommes de police attendaient les ordres.

— Allez, dit Strickland.

— Je m’en vais bien vite, dit Bahadur-Khan, regardez-moi : je suis un homme mort.

Il montra son pied. Au petit doigt était fixée la tête du serpent, à demi tué, contracté dans l’agonie.

— Je suis d’une famille de « possesseurs de terre », dit Bahadur en chancelant : ce serait une honte pour moi de monter sur l’échafaud public. Je préfère cette façon de mou-