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REVUE DE PARIS.

signe l’ordre formel de tirer sans miséricorde sur tout ce qui tenterait de les approcher, à l’exception de lui-même, M. le lieutenant.


XVI.


Plus triomphant que Jason revenant de la Colchide après avoir dérobé la fameuse toison d’or, M. le comte Voyer d’Argenson nous revint de son expédition souterraine.

Il entra d’un pas magnifique dans l’appartement où nous étions relégués ; la joie, la satisfaction éclataient sur sa figure ; il nous pria, avec un sourire en permanence s’épanouissant sur ses lèvres, de ne pas trop nous laisser aller à l’ennui.

Pour ce qui était de moi en ce moment, je ne devais pas avoir la mine fort mélancolique, car depuis le retour de notre révérend prieur je m’étais fort hilarié, et j’avais surtout épuisé force moqueries à l’occasion de ses lanternes magiques et du travestissement en diable de M. Jean-François, son valet.

M. le lieutenant-général nous donna en outre cette consolation que notre position actuelle n’était que provisoire, qu’il allait en écrire au roi, dont il était le simple envoyé, et qu’aussitôt que sa majesté lui aurait fait connaître sa volonté, nous quitterions ce lieu sans doute pour une situation plus durable et mieux déterminée.

Puis il nous laissa tout entiers à nos réflexions, après quelques légères plaisanteries sur notre malheureuse prétention à la sorcellerie et l’infécondité de nos travaux, espiègleries dont nous ne comprenions guère la portée, n’ayant pas la connaissance du trésor véritable que venait de rencontrer M. d’Argenson, par l’effet d’une si singulière aventure, tout au fond du mystérieux repaire révélé inopinément par la culbute de notre brave moine et révérend prieur.

Il s’installa aussitôt dans le salon contigu ; Suzanne s’y trouvait enfermée, et il se mit en toute hâte à préparer sa dépêche au roi, car il lui tardait de l’informer de ses succès et de sa capture. — Quelle agréable nouvelle à porter à son maître, pour un fidèle et zélé serviteur !

Mais le charme indéfinissable de la belle magicienne attirait sans cesse ses regards, défaisait ses pensées et ses phrases à mesure qu’elles se rassemblaient, et le plongeait dans cet état de distraction et d’inquiétude naturel aux écoliers dissipés quand il s’agit de leurs devoirs.