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les avoir enivrés. Déjà ils avaient saisi Thécla, quand s’échappant de leurs mains, sauve-moi, s’écria-t-elle, sauve-moi, mon Dieu ! et aussitôt une voix retentit du ciel : Ne crains rien, Thécla, et regarde ! Thécla regarda, elle vit le rocher de la caverne qui s’entr’ouvrait de quoi laisser passer une personne, et aussitôt elle s’élança dans cette ouverture qui se referma sur elle sans qu’on pût voir seulement où la pierre s’était ouverte.

Voilà un échantillon de cette littérature apocryphe du premier et du deuxième siècle, curieuse sous beaucoup de rapports, et que l’histoire et la littérature ne doivent, selon nous, ni omettre ni dédaigner. Qui ne s’est imaginé souvent qu’il serait précieux d’avoir sur les premiers temps du christianisme des mémoires qui nous révélassent l’état de la société chrétienne, qui nous fissent pénétrer dans l’intérieur des familles, qui nous montrassent quel effet y faisait la religion nouvelle ? Ces mémoires existent, ce sont les vies des saints, les actes des martyres, les faux évangiles de cette époque ; en même temps, ces mémoires sont de petites épopées populaires, empreintes d’un caractère de crédulité naïve, mais qui, telles qu’elles sont pourtant, sont l’origine des grandes épopées chrétiennes du Dante, de Milton et de Klopstock : car c’est à ces sources obscures que commencent la société et la poésie de l’Europe moderne. Ne nous faisons pas illusion : la littérature chrétienne dans ses premiers temps, et la littérature du petit peuple comme l’histoire de l’Église à ce moment, est aussi celle d’hommes obscurs et de petites gens, non de rois ou de consuls ; le christianisme est né dans le petit peuple : mais, à nos yeux, c’est la sa gloire, c’est là la grandeur de la révolution qu’il a faite.

En effet, quand je cherche à estimer les diverses révolutions, il me semble que les meilleures et les plus grandes sont celles dont plus d’hommes ont profité. Si les révolutions n’avaient d’autre effet que de remuer la société, et de faire monter à la surface la lie du tonneau, elles ne vaudraient pas la peine qu’elles coûtent. Mais elles font autre chose ; elles donnent à l’homme d’autres soins que ceux de la vie matérielle, et par là, elles lui donnent aussi le sentiment de sa dignité. Ce mouvement qui pousse sans cesse en avant les derniers rangs