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sur lui ses regards, elle le vit qui était emporté au ciel. Pendant ce temps le peuple apportait du bois et du gazon sec pour brûler Thécla. Celle-ci fit le signe de la croix, se dépouilla de ses vêtemens, et resta nue sur le bûcher, si belle que le président des jeux se mit à pleurer de la voir près de mourir ; puis le peuple mit le feu, et la flamme brilla de tous côtés.

Eh quoi ! s’écria un jeune homme (nous nous supposons un instant dans une famille chrétienne du second et du troisième siècle, assemblée pour écouter ce récit) ; eh quoi, la voilà sur le bûcher ! et Thamyris ! — Mon fils, répondit le vieillard qui l’écoutait, quel secours voulez-vous que Thécla attende de Thamyris ? des secours humains ! — Non, mon père, non : que la volonté de Dieu soit faite ! Mais si Thamyris l’aimait, il fallait mourir avec elle ! S’il l’aimait, comment la grâce du Seigneur ne l’a-t-elle pas touché quand il la vit monter sur le bûcher ? Elle était là, jeune, belle, prête à mourir, et il ne s’est pas écrié qu’il était chrétien et qu’il devait mourir avec elle ! n’était-ce rien que de partager le bûcher de sa fiancée ? Thécla eût tourné vers lui ses regards ; elle l’eût béni de cette marque d’amour, la seule qu’elle pût encore recevoir sans manquer à son vœu de virginité, et la flamme les eût enveloppés pour les emporter ensemble dans le ciel.

Je ne sais ce que le vieillard répondit au jeune enthousiaste ; mais cette sorte de conversions soudaines où l’amour aide à la foi se rencontre dans quelques récits de cette époque ; et quand Corneille, à la mort de Polyeucte, fait crier à Pauline qu’elle est chrétienne, ce n’est pas là une invention de poète, c’est un trait de mœurs. Souvent l’heure fatale où une jeune fille allait mourir pour Dieu était l’heure que la grâce semblait avoir choisie pour toucher le cœur de quelque jeune homme, qui, du milieu de la foule, s’élançait en criant qu’il était chrétien. C’étaient de jeunes fiancés que la religion nouvelle avait d’abord désunis, comme Thécla et Thamyris, et que, par un coup du ciel, elle réunissait pour mourir. Leurs fiançailles s’achevaient dans les tourmens ; et le martyre leur servait de noce et de mariage. Mais la foi répandait son charme et son prestige sur cette mystérieuse alliance ; et leurs yeux, des-