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cée, Théoclia sa fille, et les servantes aussi, de se voir ravir leur jeune maîtresse. Mais Thécla semblait ne pas s’apercevoir de toute cette douleur ; ses regards et son esprit étaient tournés tout entiers du côté de saint Paul. Alors Thamyris quitta précipitamment sa fiancée. Deux hommes sortaient de la maison de saint Paul. Quel est, leur dit-il, l’homme qui est dans cette maison, qui égare l’ame des jeunes gens et des jeunes filles, qui défend le mariage ? Dites-moi ce qu’il est ; je vous récompenserai : je suis un des principaux citoyens de la ville.

Demas et Hermogènes, car c’étaient eux, lui répondirent que c’était un chrétien, et qu’il fallait le conduire devant le préfet de la ville, pour le faire punir selon le décret de l’empereur. Aussitôt Thamyris court à la maison d’Onésiphore avec une troupe de gens armés de bâtons, et arrête saint Paul, en disant : Tu séduis toute la ville d’Icone, et surtout Thécla, ma fiancée, qui ne veut plus m’épouser ; allons devant le tribunal. En même temps tout le peuple criait : Emmenez-le, emmenez le sorcier ! il ne veut pas que les jeunes filles se marient.

Voilà un témoignage naïf de l’effet que devait faire cette doctrine de la virginité, si chère aux premiers pères de l’Église ; elle étonnait, elle irritait le monde ancien, qui n’avait presque jamais connu rien de semblable ; elle troublait les familles, elle séparait les fiancés. Cependant n’en médisons pas trop ; elle a contribué à donner au christianisme un élan salutaire : car ce qui fait la force d’une religion, c’est surtout les sacrifices qu’elle impose, comme si le cœur de l’homme avait l’instinct qu’il n’y a pas vraiment de religion partout où il n’y a pas à accomplir quelque pénible devoir. C’est à la peine que lui coûte l’obéissance que l’homme reconnaît une loi divine.

La doctrine de la virginité a fait autre chose encore : c’est elle qui, de toutes les idées du christianisme, a le plus contribué à l’émancipation des femmes. Jusque-là la femme ne pouvait pas traiter d’égal à égal avec l’homme : car où l’homme libre aurait-il pu apprendre à regarder la femme comme son égale, puisque nulle part elle n’était libre, puisque partout où il la voyait, jeune fille.