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fois ils devaient changer et s’embellir ! Le vieillard qui avait retenu l’histoire de Nestor ajoutait quelque chose de sa sagesse à celle du héros : le jeune homme mêlait sa colère à la colère d’Achille, blasphémait avec Ajax, et son imagination enrichissait, sans le savoir, les chants qui la charmaient : la jeune fille qui redisait l’aventure de Nausicaa faisait passer dans le poëme les émotions de pudeur et de modestie qu’il lui avait inspirées. C’est ainsi que ces poëmes antiques allaient errant par toute la Grèce, en recueillant partout sur leur passage tout ce qu’îls excitaient de sentimens sublimes et gracieux, et c’est peut-être là ce que signifie cette tradition d’Homère qui demandait l’aumône de ville en ville.

Aux premiers siècles de l’ère chrétienne, les récits de martyres et de miracles se répétaient de même de bouche en bouche, et s’enrichissaient aussi, à mesure qu’ils se répandaient. C’était là les poëmes populaires des premiers chrétiens. La foi et l’imagination les embellissaient sans cesse, et aujourd’hui encore, quand on lit ces fables pieuses, il semble qu’on peut reconnaître quels traits chacun y ajoutait, et ce que l’ardeur des jeunes gens, ce que l’imagination des jeunes filles prêtait de courage et de ferveur aux martyrs qui périssaient dans l’arène. Une jeune vierge est-elle exposée aux lions : quand, ses voiles tombent, quant elle reste à demi nue, c’est un cri qui s’élève dans le peuple : qu’elle est belle ! et les lions même, comme frappés de respect et d’amour, s’arrêtent immobiles ou viennent lécher doucement ses beaux pieds. À ces traits, ne reconnaissez-vous pas l’imagination de quelque diacre de vingt ans, qui, dans l’ardeur de sa foi et de son âge, a créé ces aventures merveilleuses, qu’il racontera le soir dans quelque famille chrétienne, après le repas et avant les prières qui terminent le jour ? Avec quelle émotion l’écouteront ces jeunes filles nourries dans le zèle de la foi ! comme elles rêveront de ce martyre, de ces cirques où elles iront périr, mais si belles que le peuple même se récriera, et que les bêtes féroces seront touchées ! Comme elles embelliront ces récits quand elles les raconteront elles-mêmes à leurs compagnes ! Les cieux étaient ouverts ; il y avait de jeunes anges qui voltigeaient dans l’air ; c’était une pluie de parfums et de fleurs qui tombait dans