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SOUVENIRS ET PORTRAITS

blir l’ordre ; il désirait donc le pouvoir, et c’était alors le mériter. J’ai besoin de répéter que je suis loin de plaider pour Robespierre, et que je cherche l’intelligence des faits. Jetez cent assassins ensemble sur une terre déserte, avec quelques moyens d’existence : au bout de dix ans, ils auront un chef, des institutions et des mœurs ; c’est ainsi que finissent toutes les grandes aberrations sociales. C’est ainsi que Robespierre avait entrepris ce qu’a exécuté Napoléon. Sa fête de l’Être suprême est l’ébauche d’un concordat ; ses pages, plus belles qu’on ne le dit communément, sur les vertus républicaines ; cette vaste et confuse improvisation du 8 thermidor, où il accuse les excès et les fureurs passées, rappellent l’interpellation de Bonaparte aux infracteurs de la Constitution ; son recours du 9 thermidor à la partie calme et saine de l’assemblée, c’est le cri de Bonaparte qui atteste les acclamations d’amour et de reconnaissance qui l’ont accueilli aux Anciens. Voilà la marche éternelle des sociétés : Œdipe qui règne après avoir vaincu le Sphynx, Alexandre qui tranche le nœud gordien, le héros après le Sophiste, et le sabre après la parole. Il ne s’agit pas ici de comparaison de facultés ; quoique je ne m’abuse point sur ces grandeurs contemporaines qu’on bâtit à coups de plumes pour la postérité, et qu’elle adoptera niaisement, comme nous en avons adopté tant d’autres, je ne vois dans Robespierre qu’un homme très-médiocre, porté par des événemens, et je vois dans Napoléon un homme pour lequel mon imagination conçoit à peine la possibilité d’une vie vulgaire. Cette comparaison ne repose que sur un fait qui leur est commun ; nécessairement leur nom exprime, à deux époques très-rapprochées, le pouvoir absolu.

Les personnes qui doutent de la direction rétrograde de Robespierre font valoir son alliance avec les Jacobins et la Commune, beaucoup plus extrêmes, à la vérité, que la Convention elle-même. C’est un fait qui ne peut pas se contester ; mais Robespierre savait que les puissances politiques du temps étaient dans la Convention et dans le Comité de salut public : il lui fallait un levier pour ébranler ce monde révolutionnaire, et il ne pouvait le prendre qu’où il l’a pris. Le lendemain d’un triomphe, le plus obscur des