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SOUVENIRS ET PORTRAITS

révolution avec la renommée prestigieuse de son héros ; car derrière cette réputation d’incorruptible vertu qu’un fanatisme incroyable lui avait faite, il ne restait pas un seul élément de popularité universelle, un nom auquel les doctrines flottantes de l’époque pussent se rattacher. Mais ce fut bien autre chose dans les rangs opposés. Hélas ! se disait-on à demi-voix, qu’allons-nous devenir ? Nos malheurs ne sont pas finis, puisqu’il nous reste encore des amis et des parens, et que MM. Robespierre sont morts ! Et cette crainte n’était pas sans motif, car le parti de Robespierre venait d’être immolé par le parti de la terreur.

Ce que je dis là est si bizarre, si abrupt, si inopiné, que tout mon scepticisme politique ne saurait me dispenser d’une espèce de profession de foi. Ce n’est pas moi, grâce au ciel, qui viendrai déterrer les linceuls couverts de boue et de sang de ces tribuns frénétiques de la Montagne, pour les ériger en drapeau à la tête d’un parti. Il n’y en a pas un qui puisse exciter une noble sympathie, et c’est tout au plus si quelque attraction involontaire me déciderait aujourd’hui entre la charogne de Marat et le spectre gigantesque de Danton. Celui-ci domine de beaucoup, à mes yeux, les deux Robespierre, hommes essentiellement secs, faux, froids, despotiques et sans pitié. Mais ce que je viens de raconter dénonce un rôle convenu ; et c’est ici que la trame de l’histoire manque, et qu’il faut la renouer.

Robespierre l’aîné, on n’en doute pas, était l’expression personnifiée de la Convention : il le savait aussi, et il avait dit admirablement : « On ne va jamais plus loin que quand on ne sait pas où l’on va. » Mais quiconque a dit cela sait précisément où il doit aller ; et comme il est impossible de savoir où l’on doit aller sans avoir des idées d’ordre, c’est à l’ordre qu’allait Robespierre, soit instinctivement, soit par combinaison. Il en avait senti le besoin. Il avait par conséquent senti la nécessité du pouvoir ; car il n’y a point d’ordre sans pouvoir.

En regardant autour de lui, Robespierre dut s’apercevoir qu’il était le seul en France, car c’est ainsi qu’on nous l’avait faite, qui pût s’investir d’une confiance populaire assez vaste pour réta-