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SOUVENIRS ET PORTRAITS

soir, après avoir communiqué avec Bernard pendant plusieurs heures, Robespierre se rendit à la société populaire, la remercia de ses travaux, l’encouragea dans son zèle, et par une péripétie tout-à-fait inattendue, lui apprit qu’on s’était trompé dans les départemens sur la juste et bonne direction du gouvernement révolutionnaire, qui n’avait pour objet que le bien de tous, et qui ne devait se faire connaître que par des bienfaits. Il parla de conciliation, d’indulgence, d’amnistie universelle, et descendit de la tribune au milieu d’une rumeur d’étonnement qui ne présentait d’ailleurs rien d’hostile. Au lever du soleil, huit cents détenus d’opinion furent rendus à la liberté, en vertu d’un arrêté signé Robespierre et Bernard. L’aspect de la ville changea en un moment. Elle offrit le tableau d’une fête. Les cris de vive Robespierre se firent entendre partout. Des jeunes filles en robes blanches, des épouses consolées, des mères qui venaient de revoir leurs enfans qu’elles croyaient perdus à jamais, entourèrent la modeste retraite du représentant, et la décorèrent de fleurs et de rubans. Le nom de Bernard ne fut pas prononcé au milieu de ces hommages naïfs et indiscrets. Il rentra à Besançon, la rage et l’envie dans le cœur.

C’était à la séance de la veille qu’il avait paru, et qu’il s’était accusé d’une lâche faiblesse, déterminée par les perfides séductions de Robespierre. Il venait de rendre à la liberté des aristocrates pour qui la vie était déjà un bienfait du peuple, et qui ne devaient sortir des prisons que pour aller à l’échafaud. Rien ne pouvait expier ce fatal abus de son pouvoir que la mort de deux représentans, traîtres à la patrie ; il suppliait la société populaire d’apostiller la dénonciation qu’il adressait au Comité de salut public, pour lui demander la tête de Robespierre et de Bernard. La société populaire ajourna sa délibération, jusqu’au moment où elle aurait entendu Robespierre. Bernard se retira de la séance, en disant qu’il n’y pouvait reparaître que comme accusé. Je ne sais si je me trompe, mais ces folies, aujourd’hui incroyables, avaient au moins un grand caractère, et faisaient vivre l’âme dans une haute région de passions et d’idées.

Après cette avant-scène indispensable, nous allons ouvrir les