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Pradon. Ce qu’on a peine à concevoir, c’est qu’il vendit sur ses derniers jours sa maison d’Auteuil, et qu’il vint mourir, en 1711, au cloître Notre-Dame, chez le chanoine Lenoir, son confesseur. La vieillesse du poète-historiographe ne fut pas moins triste et morose que celle du monarque.

On doit maintenant, ce nous semble, comprendre notre opinion sur Boileau ; ce n’est pas du tout un poète, si l’on réserve ce titre aux êtres fortement doués d’imagination et d’âme : son Lutrin toutefois nous révèle un talent capable d’invention, et surtout des beautés pittoresques de détail. Boileau, selon nous, est un esprit sensé et fin, poli et mordant, peu fécond, d’une agréable brusquerie, religieux observateur du vrai goût, bon écrivain en vers, d’une correction savante, d’un enjouement ingénieux, l’oracle de la cour et des lettrés d’alors ; tel qu’il fallait pour plaire à la fois à M. Patru et à M. de Bussy, à M. d’Aguesseau et à Mme de Sévigné, à M. Arnaud et à Mme de Maintenon, pour imposer aux jeunes courtisans, pour agréer aux vieux, pour être estimé de tous ; honnête homme et d’un mérite solide. Racine représente très-bien le côté tendre et voluptueux de Louis XIV et de sa cour ; Boileau en représente non moins parfaitement la gravité soutenue, le bon sens relevé de noblesse, l’ordre décent. La littérature et la poétique de Boileau sont merveilleusement d’accord avec la religion, la philosophie, l’économie politique, la stratégie et tous les arts du temps ; c’est le même mélange de sens droit et d’insuffisance, de vues provisoirement justes, mais peu décisives. Il réforma les vers, mais comme Colbert les finances, comme Pussort le code, avec des idées de détail. Racine lui écrivait du camp près de Namur : « La vérité est que notre tranchée est quelque chose de prodigieux, embrassant à la fois plusieurs montagnes et plusieurs vallées avec une infinité de tours et de retours, autant presque qu’il y a de rues à Paris. » Boileau répondait d’Auteuil, en parlant de la Satire des femmes qui l’occupait alors : « C’est un ouvrage qui me tue, par la multitude des transitions qui sont, à mon sens, le plus difficile chef-d’œuvre de la poésie. » Boileau faisait le vers à la Vauban ; les transitions valent les circonvallations ;