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LITTÉRATURE ANCIENNE.

fait une lieue ce matin, écrit-il à l’un de ses amis, dans les plaines de bruyères, et quelquefois entre des buissons qui sont couverts de fleurs et qui chantent. » Rien de tout cela chez Boileau. Que, fait-il donc à Auteuil ? Il y soigne sa santé ; il y traite ses amis, Rapin, Bourdaloue, Bouhours ; il y joue aux quilles ; il y cause, après boire, nouvelles de cour, académie, abbé Cottin, Charpentier ou Perrault, comme Nicole causait théologie sous les admirables ombrages de Port-Royal ; il écrit à Racine de vouloir bien le rappeler au souvenir du Roi et de madame de Maintenon ; il lui annonce qu’il compose une ode, qu’il y hasarde des choses fort neuves, jusqu’à parler de la plume blanche que le Roi a sur son chapeau ; les jours de verve, il rêve et récite aux échos de ses bois cette terrible Ode à Namur. Ce qu’il fait de mieux, c’est assurément une ingénieuse épître à Antoine ; encore ce bon jardinier y est-il transformé en gouverneur du jardin : il ne plante pas, mais dirige l’if et le chèvrefeuil, et exerce sur les espaliers l’art de la Quintinie ; il y avait même à Auteuil du Versailles. Cependant Boileau vieillit, ses infirmités augmentent, ses amis meurent ; La Fontaine et Racine lui sont enlevés. Disons à la louange de l’homme bon, dont en ce moment nous jugeons le talent avec une attention sévère, disons qu’il fut sensible à l’amitié plus qu’à toute autre affection. Dans une lettre datée de 1695, et adressée à M. de Maucroix, au sujet de la mort de La Fontaine, on lit ce passage, le seul touchant peut-être que présente la correspondance de Boileau : « Il me semble, Monsieur, que voilà une longue lettre. Mais quoi ! le loisir que je me suis trouvé aujourd’hui à Auteuil m’a comme transporté à Reims, où je me suis imaginé que je vous entretenais dans votre jardin, et que je vous revoyais encore comme autrefois avec tous ces chers amis que nous avons perdus, et qui ont disparu velut somnium surgentis. » Aux- infirmités de l’âge se joignirent encore un procès désagréable à soutenir, et le sentiment des malheurs publics. Boileau, depuis la mort de Racine, ne remit pas les pieds à Versailles ; il jugeait tristement les choses et les hommes, et même en matière de goût, la décadence lui paraissait si rapide, qu’il allait jusqu’à regretter le temps des Bonnecorse et des