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LITTÉRATURE ANCIENNE.

s’entendaient nullement, et ne sympathisaient pas, emprisonnés qu’ils étaient dans le technique et le métier. Aux époques vraiment palingénésiques, c’est tout le contraire : Phidias traduit Homère avec son ciseau ; Michel-Ange commente le Dante avec son crayon ; Chateaubriand comprend Bonaparte. Revenons à Boileau. Il eût été trop dur d’appliquer à lui seul des observations qui tombent sur tout son siècle, mais auxquelles il a nécessairement grande part, en qualité de poète critique et de législateur littéraire.

C’est là, en effet, le rôle et la position que prend Boileau par ses premiers essais. Dès 1664, c’est-à-dire à l’âge de 28 ans, nous le voyons intimement lié avec tout ce que la littérature du temps a de plus illustre, avec La Fontaine et Molière, déjà célèbres ; avec Racine, dont il devient le guide et le conseiller. Les dîners de la rue du Vieux-Colombier s’arrangent pour chaque semaine, et Boileau y tient le dé de la critique. Il fréquente les meilleures compagnies, celles de M. de Larochefoucauld, de mesdames de Lafayette et de Sévigné- ; connaît les Vivonne, les Pomponne, et partout ses décisions en matière de goût font loi. Présenté à la cour en 1669, il est nommé historiographe en 1677 ; à cette époque, par la publication de presque toutes ses satires et ses épîtres, de l’Art poétique, et des quatre premiers chants du Lutrin, il avait atteint le plus haut degré de sa réputation.

Boileau avait 41 ans lorsqu’il fut nommé historiographe. On peut dire que sa carrière littéraire se termina à cet âge. En effet, durant les quinze années qui suivent, jusqu’en 1693, il ne publia que les deux derniers chants du Lutrin, et jusqu’à la fin de sa vie, c’est-à-dire pendant dix-huit autres années, il ne fit plus que la satire sur les Femmes, l’Ode à Namur, les épîtres à ses Vers, à Antoine, et sur l’Amour de Dieu, les satires sur l’Homme, et sur l’Equivoque. Cherchons dans la vie privée de Boileau l’explication de ces irrégularités, et tirons-en quelques conséquences sur la qualité de son talent.

Pendant le temps de sa renommée croissante, Boileau avait continué de loger chez son frère, le greffier Jérôme. Cet intérieur devait être assez peu agréable au poète ; car la femme de Jérôme était,