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LITTÉRATURE ANCIENNE.

caprice du ciel, un don de Dieu. Vous aurez fait de beaux et légitimes raisonnemens sur les races ou les époques prosaïques ; mais il plaira à Dieu que Pindare sorte un jour de Béotie, ou qu’un autre jour André Chénier naisse et meure au dix-huitième siècle. Sans doute, ces aptitudes singulières, ces facultés merveilleuses reçues en naissant, se coordonnent toujours tôt ou tard avec le siècle dans lequel elles sont jetées, et en subissent des inflexions, durables. Mais pourtant ici l’initiative humaine est en première ligne et moins sujette aux causes générales ; l’énergie individuelle modifie, et, pour ainsi dire, s’assimile les choses ; et d’ailleurs, ne suffit-il pas à l’artiste, pour accomplir sa destinée, de se créer un asile obscur dans ce grand mouvement d’alentour, de trouver quelque part un coin oublié où il puisse en paix tisser sa toile ou faire son miel ? Il me semble donc que, lorsqu’on parle d’un artiste et d’un poète, surtout d’un poète qui ne représente pas toute une époque, il est mieux de ne pas compliquer dès l’abord son histoire d’un trop vaste appareil philosophique, de s’en tenir, en commençant, au caractère privé, aux liaisons domestiques, et de suivre l’individu de près dans sa destinée intérieure, sauf ensuite, quand on le connaîtra bien, à le traduire au grand jour et à le confronter avec son siècle. C’est ce que nous ferons simplement pour Boileau.

Fils d’un père greffier, né d’aïeux avocats, comme il le dit lui-même dans sa dixième épître, Boileau passa son enfance et sa première jeunesse, rue du Harlay, dans une maison du temps d’Henri IV, et eut à loisir sous les yeux le spectacle de la vie bourgeoise et de la vie de palais. Il perdit sa mère en bas âge, et comme la famille était nombreuse et son père très-occupé, le jeune enfant se trouva livré à lui-même. Logé dans une guérite au grenier, sa santé en souffrit, son talent d’observation dut y gagner ; il remarquait tout, maladif et taciturne, et comme il n’avait pas la tournure d’esprit rêveuse, et que son jeune âge n’était pas environné de tendresse, il s’accoutuma de bonne heure avoir les choses avec sens, sévérité et brusquerie mordante. On le mit bientôt au collège, où il achevait sa quatrième, lorsqu’il fut attaqué de la