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SOUVENIRS ET PORTRAITS

sa jolie hôtesse comme s’il avait pu y prétendre du droit de l’amour, et sans blesser aucune convenance ; puis, sans attendre de réponse, il s’approcha de la croisée, l’ouvrit, et jeta un regard satisfait sur la place, à la vue des apprêts qu’il avait ordonnés. Après avoir arboré de quartier en quartier ses deux poteaux ombragés de panaches tricolores, et décorés de nœuds de rubans, on venait, pour la première fois, d’y dresser la guillotine[1]. Cet aspect porta une horrible lumière dans le cœur de l’objet infortuné des préférences de Schneider. Elle tomba aux pieds de son père en le suppliant de lui accorder pour époux l’homme bienfaisant auquel il devait la vie, et en attestant le ciel qu’elle ne se relèverait qu’après avoir obtenu cette faveur. Puis, se retournant vers Schneider, « Mais, dit-elle, j’exige de ta tendresse une de ces grâces qu’on ne refuse pas à sa fiancée. Il se mêle un peu d’orgueil à mon bonheur. Ce n’est pas à Brumpt que le premier de nos citoyens doit accorder son nom à une femme ; je veux que le peuple me reconnaisse pour l’épouse de Schneider, et ne me prenne pas pour sa concubine. Il n’est point de ville, ajouta-t-elle en souriant, où tu n’aies pas été suivi d’une maîtresse : on pourrait aisément s’y tromper. Il n’y a que trois lieues d’ici à Strasbourg ; j’ai des mesures à prendre pour ma toilette de noce, car je veux qu’elle soit digne de toi ; demain, à telle heure que tu voudras, nous partons seuls ou accompagnés, à ton gré, et je vais te donner la main devant les citoyens, les généraux et les représentans. » Ces paroles, que rendaient cent fois plus séduisantes l’élocution coquette et la piquante physionomie d’une Alsacienne ; ces paroles accompagnées, dit-on, de quelques caresses, ne laissèrent pas à Schneider la possibilité d’une objection. Cependant la

  1. Des faits analogues ont été mis en Angleterre sur le comte de Jefferys ; en France, sur celui de Joseph Lebon. Prudhomme impute le même crime à Cavaignac. Il est à souhaiter pour l’honneur de l’espèce humaine que tout cela soit faux. Je n’atteste sur l’histoire de Schneider à Brumpt que la rumeur publique. Je n’étais pas à Brumpt, mais j’étais à Strasbourg le 21 décembre 1793, et il n’y avait pas deux versions sur l’événement.