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SOUVENIRS ET PORTRAITS

panégyrisa la guillotine, au nom de la liberté, avec un choix d’expressions si gracieusement effrayantes, avec un anacréontisme si désespérant, que je sentis une sueur froide ruisseler sur mon front et baigner mes paupières. Je voudrais oublier tout ce qu’il y a de triste dans mes souvenirs ; mais j’écris mes souvenirs, et je n’ai pas pu l’oublier encore, cette procession fanatique de la Propagande qui avait le bourreau pour pontife, et la guillotine pour reposoir !

Ceci se passait en frimaire, du deux au cinq ou six décembre ; et je ne devais revoir Schneider qu’une fois. Je ne m’informai pas de ses voyages dont les biographies rapportent d’horribles circonstances, qu’on reléguerait volontiers à l’histoire des vampires et des goules, mais que Saint-Just recueillait de toutes les bouches, et qu’il avait quelque intérêt à ne pas atténuer. Bien décidé à n’écrire que ce que j’ai vu, je ne leur emprunte un fait qu’autant qu’il peut se rattacher à mes impressions, et qu’il m’explique ou me développe des idées mal arrêtées dans ma mémoire. Il paraît que cette funeste excursion acheva de briser son intelligence ; et qu’il devint fou furieux de l’ivresse du pouvoir absolu, comme Mazaniel. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans ces impôts levés en têtes humaines dont on prétend qu’il a frappé quelques villages, et qui motivèrent sa condamnation devant le tribunal de Fouquier. Ce qui paraît certain, c’est l’événement qui causa sa perte, et que je raconterai avec plus de brièveté que cette longue exposition ne le promettait, parce que je le raconte sur le témoignage presqu’unanime des ouï-dire, mais seulement sur leur témoignage, c’est-à-dire sur des perceptions qui ne sont pas les miennes, et que je ne sais pas décrire. Je ne devais rentrer comme spectateur dans ce drame affreux qu’à sa péripétie.

Une chose qui paraîtra difficile à concevoir, c’est que la formidable logique de Schneider, tout en atteignant aux dernières conséquences de sa doctrine, n’avait pu satisfaire à toutes les exigences de quelques esprits rebelles à la conviction, et qui comptaient pour rien toutes les garanties chez un homme auquel il en manquait une. L’uniforme presque militaire du commissaire rapporteur n’avait fait