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SOUVENIRS ET PORTRAITS

Euloge Schneider n’avait pas toujours porté ce prénom académique qui signifie beau parleur ou savant spirituel. Les érudits le connaissent autrement. Il l’avait pris pour dissimuler les souvenirs de sa vie monacale, et pour entrer dans le monde en laïque, sous le privilège d’une pseudonymie parlante qui ne manquait pas de prétention. C’était un homme de trente-cinq ans, laid, gros, court et commun, aux membres ronds, aux épaules rondes, à la tête ronde. Ce qu’il y avait de plus remarquable dans sa face orbiculaire d’un gris livide, frappée çà et là de quelques rougeurs, et criblée de petite vérole, c’était le contraste de ses cheveux noirs, coupés de très-près, avec ses sourcils touffus et bruns, sous lesquels étincelaient deux yeux fauves ombragés de cils roux. Doué d’une immense aptitude à savoir, et d’un esprit tout en ironie que j’ai trouvé presque toujours à côté de la cruauté, il n’avait rien de ce qui touche, de ce qui émeut, de ce qui lie le cœur, et je crois que cette observation pourrait contenir la solution d’un grand problème. Les méchans sont les hommes malheureusement organisés qui n’ont pas pu être aimés.

Toutes les fois que je me le rappelle comme je l’ai vu, imposant pour le petit nombre des savans qui pouvaient le juger, mais si peu sympathique de sentiment, si maladroit de faconde, et si repoussant d’extérieur pour tout le reste, je me demande avec étonnement de quelle autorité cet homme a balancé pendant six moi l’omnipotence de Saint-Just, opprimé une vaste et forte province, menacé-la Convention, et inquiété la République.

Plus le dîner me faisait peur, plus j’y fus ponctuel. Mme Tesch me l’avait recommandé en m’embrassant, et elle m’embrassait volontiers, parce que j’avais l’air, disait-elle, d’une petite fille déguisée. C’est le premier banquet de ma vie où il ne s’élevât pas au-dessus de la nappe, à l’exception de ma tête, une tête qui n’ait été coupée depuis. Dès-lors, cela m’est arrivé deux ou trois fois comme à tout le monde.

Les convives de Schneider se nommaient Edelman, Young et Monnet.

Edelman prendrait de droit une place dans les biographies,