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DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

-temps à m’expliquer cette frénésie, qui n’était pas encore parvenue jusqu’au pied du mont Jura.

Il était neuf heures du matin quand je crus pouvoir me présenter chez le citoyen Schneider. Madame Tesch m’avait bien dit que c’était comme cela qu’il fallait le nommer ; qu’il n’était plus abbé, mais rapporteur de la commission révolutionnaire extraordinaire du Bas-Rhin, et que, tout enfant que je fusse, il était capable de me faire mourir si je ne le tutoyais pas. Je venais de me répéter cette leçon pendant une heure de promenade sur le Breuil, regrettant, à vrai dire, de commencer ainsi mes nouvelles études, et de ne pouvoir arriver sans ce préambule à la première page des Institutions de Clénard.

Je montai trois degrés ; je frappai à une petite porte étroite. Une servante vieille et fort rechignée vint me recevoir, et m’introduisit en grommelant chez le citoyen Schneider, c’est-à-dire dans la salle à manger où je devais l’attendre. Cette pièce était fort propre, quoiqu’elle ne fût boisée que de planches à simples moulures, sans couleur, sans ciré et sans vernis. Elle avait pour tout ornement deux grands sabres en sautoir.

Le déjeuner était servi. C’était un plat d’huîtres, rara concha in terris, un plat d’anchois, une jatte d’olives, et une cruche de bière. Le citoyen Schneider entra, plaça ses deux pistolets sur la table, et s’assit après m’avoir assez, brusquement salué. Je m’approchai de lui, et je lui remis la lettre de mon père. Aux deux premières lignes, il me tendit la main, m’adressa je ne sais quelle phrase grecque à laquelle je répondis en disant que je n’avais pas encore le bonheur de savoir un mot de grec ; puis, m’invita à déjeuner, et sur mon refus, à dîner. Je n’avais aucun prétexte pour ne pas accepter. J’aurais cependant mieux aimé dîner chez madame Tesch.

La vieille servante revint, et lui rapporta des gazettes allemandes, une lampe, une boîte à tabac et une pipe. Il alluma sa pipe, et remplit devant moi un verre de bière que je me crus obligé à vider. Pendant qu’il parcourait ses journaux, je l’aurais peint si je savais peindre.