Page:Revue de Paris - 1829 - tome 1.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plupart d’entre eux étaient persuadés que leurs livres devaient vivre et mourir comme eux dans la solitude. Voilà pourquoi on trouve souvent dans leurs récits des peintures si naïves et quelquefois si indiscrètes. Quelle n’aurait pas été leur surprise si on était venu leur annoncer qu’un jour ils seraient jugés au tribunal du monde ou du siècle, et qu’une invention de l’industrie reproduirait en tous lieux les copies de leurs relations manuscrites ! Comme ils n’avaient point la pensée d’être jamais vus du public, on sent que leur allure devait être plus naturelle et plus franche. Aussi leur bonhomie, qui n’est point contrainte, nous fait-elle quelquefois sourire. « Comme je souffre beaucoup de l’hiver, dit Orderic Vital en finissant un chapitre de son histoire, je vais suspendre mon travail, pour le reprendre au printemps prochain. » Plus loin, l’historien de la Normandie, mêlant je ne sais quel sentiment profane à l’humilité monastique, remercie la Providence de tout ce qui lui est arrivé, de tout ce qu’il a fait en cette vie périssable, et nous donne ainsi sa propre biographie dans une prière adressée à Dieu.

La piété prescrivait aux écrivains du cloître de fuir le mensonge ; et c’est pour nous une garantie, sinon de leur exactitude, au moins de leur bonne foi. Quelques-uns se condamnent eux-mêmes au supplice de l’enfer si jamais ils, écrivent dans un esprit de prévention ou de haine. D’autres, dans leur avant-propos, implorent la charité de leurs lecteurs ; et, s’adressant à la clémence divine, ils espèrent que Dieu leur pardonnera les erreurs qu’ils ont pu commettre, lorsqu’ils paraîtront devant son redoutable tribunal. Après de semblables protestations, si nos pieux historiens n’ont pas dit la vérité, on doit croire qu’ils ne la connaissaient point.

La plupart des chroniqueurs auraient cru manquer à leur devoir s’ils n’étaient remontés à la création du monde, au déluge, ou tout au moins à l’empire des Césars. Pour marquer, dans leurs récits, l’époque des événemens, ils ont coutume de rappeler les fêtes du calendrier, et donnent ainsi à une simple date l’intérêt d’un souvenir religieux : tantôt c’est une bataille qui a été livrée le jour de saint Pierre et de saint Paul ; tantôt c’est une ville qui a été prise à l’anniversaire de la mort du Sauveur. Comme au moyen-âge la reli-