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tement tout ce qui arrivait de remarquable. Les moines, dans leurs assemblées générales, surtout en Angleterre, se communiquaient ce qu’ils avaient écrit, et leurs chroniques se rectifiaient ou se complétaient les unes par les autres. Il arrivait souvent que la chronique d’un monastère avait plusieurs continuateurs ; les cénobites qui écrivaient l’histoire de leur temps se succédaient, de génération en génération, ou plutôt se relevaient comme des sentinelles vigilantes. Quoiqu’ils fussent élevés dans l’ignorante simplicité des cloîtres, les annalistes du moyen-âge paraissent avoir senti l’importance de la mission qu’ils s’étaient donnée : ils nous répètent dans leurs préfaces que l’histoire est la messagère de l’antiquité, le témoin des temps qui ne sont plus, la mémoire du genre humain, la leçon des peuples, l’école des rois. Une moine de Cantorbéry, en exprimant ces idées générales, fait une distinction ingénieuse entre l’historien et le chroniqueur : « Le premier, dit-il, a une démarche lente et grave ; le second va plus vite, et sa manière est plus simple ; l’un cherche de grands mots, des mots de six pieds, et s’adresse aux princes de la terre ; l’autre parle le langage du commun des hommes, et, revêtu de vulgaires ornemens, s’arrête sous la cabane du pauvre. L’histoire fait connaître avec vérité les actes, les mœurs, la vie de ses personnages, et ne dit que ce qui est conforme à la dignité de la raison : pour la chronique, elle se borne à supputer les années qui se sont écoulées depuis l’incarnation du Christ ; elle raconte avec brièveté les événemens des temps qu’elle parcourt, et ne craint pas de raconter des prodiges. »

L’éclat et la solennité de l’histoire font reculer d’effroi le modeste cénobite de Cantorbéry ; il peut à peine supporter la vue des franges et des dorures qu’affectent d’étaler certains chroniqueurs de son temps. Il se promet bien de ne pas les imiter, car il n’écrit point, ajoute-t-il, pour une bibliothèque publique, mais seulement pour son cher frère Thomas, à qui il a dédié son livre, et pour sa pauvre petite famille, c’est-à-dire pour son monastère.

Plusieurs de nos annalistes disent de même qu’ils n’ont écrit que pour leurs frères du cloître, et pour obéir à leurs supérieurs. La