Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

peare ; mélancolique comme la nuit qui semblait gémir avec elle, pressentant sa terrible destinée, la prédisant dans chacun de ses accens, la racontant dans chacun de ses regards. Je l’écoutais dans une muette extase ; tout-à-coup elle poussa un cri délirant, et je frissonnai. Elle avait vu dans l’ombre surgir une figure froidement atroce ; elle venait d’apprendre qu’il fallait mourir ! Oh ! il fallait la voir, naïve comme la peur d’un enfant, ou amère comme le mépris, passer de la crainte qui supplie à l’indignation qui foudroie, et se dresser, grande et terrible, dans sa fierté de femme outragée ! et puis comme une pauvre fille qui a besoin d’amour et de pardon. Il fallait la voir arrondir ses bras souples et blancs, comme pour enlacer le cou rude et basané du barbare, le menacer, le prier encore, et, glacée de terreur, tomber à ses pieds, palpitante comme la colombe sous la serre cruelle du vautour ! et ses larmes mélodieuses, ses énergiques protestations, ses lamentables cris, si vous les aviez entendus ! Pleure ! pleure ! pauvre Vénitienne ! c’était bien la peine de quitter ta patrie, et ton père, et ta gloire pour ce monstre altéré de sang ! Ton heure est venue ; le poignard est bien luisant ; la nuit est bien sombre…… Pauvre Vénitienne, il faut mourir. — Mourir ! et elle fuyait, pâle, les yeux égarés, sublime de peur…… et au moment où l’amour de la vie déployait dans toute sa vigueur la puissante énergie de ses moyens, au moment où sa voix poignait l’ame de toute l’harmonie déchirante de ses accens, elle s’arrêta, comme frappée d’une commotion électrique, le regard fixe, le cou tendu, immobile et froide comme une statue de marbre…… L’orchestre ne va pas, murmura-t-elle lentement, les lumières pâlissent ; tout est muet autour de moi !… Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle avec désespoir. Lui aussi ! et sa main semblait indiquer une place où ses yeux se reposaient tristement. Lui aussi, il se tait !… Lui, dont j’étais la vie, ajouta-t-elle d’une voix mystérieuse… Pourquoi donc ?… Je brûlais ; je m’élançai vers elle : je voulus l’attirer sur mon sein ; mais à peine eus-je touché son vêtement qu’elle frissonna de la tête aux pieds et ses traits peignirent une souffrance physique qui me glaça d’effroi… Reste, oh ! reste, m’écriai-je ! Gina, j’ai tant souffert ! Oh !