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simples. Mais, à des degrés différents, tous les philosophes français ont eu ce don d’analyse. Le besoin de résoudre les idées et même les sentiments en éléments clairs et distincts, qui trouvent leurs moyens d’expression dans la langue commune, est caractéristique de la philosophie française depuis ses origines.

Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord.

La philosophie française a toujours été étroitement liée à la science positive. Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel. Si Leibniz fut à la fois un grand philosophe et un grand mathématicien, nous voyons que le principal développement de la philosophie allemande, celui qui remplit la première moitié du xixe siècle, s’est effectué en dehors de la science positive. Il est de l’essence de la philosophie française, au contraire, de s’appuyer sur la science. Chez Descartes, l’union est si intime entre la philosophie et les mathématiques qu’il est difficile de dire si sa géométrie lui fut suggérée par sa métaphysique ou si sa métaphysique est une extension de sa géométrie. Pascal fut un profond mathématicien, un physicien original, avant d’être un philosophe. La philosophie française du xviiie siècle se recruta principalement parmi les géomètres, les naturalistes et les médecins (d’Alembert, La Mettrie, Bonnet, Cabanis, etc.). Au xixe siècle, quelques-uns des plus grands penseurs français, Auguste Comte, Cournot, Renouvier, etc., vinrent à la philosophie à travers les mathématiques ; l’un d’eux, Henri Poincaré, fut un mathématicien de génie. Claude Bernard, qui nous a donné la philosophie de la méthode expérimentale, fut un des créateurs de la science physiologique. Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection pro-