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LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE

tons que le fondateur du positivisme, qui se déclara l’adversaire de toute métaphysique, est une âme de métaphysicien, et que la postérité verra dans son œuvre un puissant effort pour « diviniser » l’humanité.

Renan[1] n’a pas de parenté intellectuelle avec Comte. Mais, à sa manière, et dans un sens assez différent, il a eu, lui aussi, cette religion de l’humanité qu’avait rêvée le fondateur du positivisme. La séduction qu’il exerça sur son temps tient à bien des causes. Ce fut d’abord un merveilleux écrivain, si toutefois on peut encore appeler écrivain celui qui nous fait oublier qu’il emploie des mots, sa pensée paraissant s’insinuer directement dans la nôtre. Mais bien séduisante aussi, bien adaptée au siècle qui avait revivifié les sciences historiques, était la conception doublement optimiste de l’histoire qui pénétrait l’œuvre de ce maître ; car, d’une part, il pensait que l’histoire enregistre un progrès ininterrompu de l’humanité, et, d’autre part, il voyait en elle un succédané de la philosophie et de la religion.

Cette même foi à la science — aux sciences qui étudient l’homme — se retrouve chez Taine[2], un penseur qui eut autant d’influence que Renan en France, et qui en eut peut-être plus encore que Renan à l’étranger. Taine veut appliquer à l’étude, de l’activité humaine sous ses diverses formes, dans la littérature, dans l’art, dans l’histoire, les méthodes du naturaliste et du physicien. D’autre part, il est tout pénétré de la pensée des anciens maîtres : avec Spinoza il croit à l’universelle nécessité ; sur la puissance en quelque sorte magique de l’abstraction, sur les « qualités principales » et les « facultés maîtresses », il a des vues qui le rapprochent d’Aristote et de Platon. Il revient ainsi, implicitement, à la métaphysique ; mais il borne l’horizon de cette métaphysique à l’homme et aux choses humaines. Pas plus que Renan, il ne ressemble ni ne se rattache à Comte. Et pourtant ce n’est pas tout à fait sans raison qu’on le classe parfois, ainsi que Renan lui-même, parmi les positivistes. Il y a bien des manières, en effet, de définir le positivisme ; mais nous croyons qu’il faut y

  1. 1823-1892.
  2. 1828-1893.