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LA REVUE DE PARIS

génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. La recherche scientifique, telle que Claude Bernard la recommande, est un dialogue entre l’homme et la nature. Les réponses que la nature fait à nos questions donnent à l’entretien une tournure imprévue, provoquent des questions nouvelles auxquelles la nature réplique en suggérant de nouvelles idées, et ainsi de suite indéfiniment. Ni les faits ni les idées ne sont donc constitutifs de la science : celle-ci, toujours provisoire et toujours, en partie, symbolique, naît de la collaboration de l’idée et du fait. Immanente à l’œuvre de Claude Bernard est ainsi l’affirmation d’un écart entre la logique de l’homme et celle de la nature. Sur ce point, et sur plusieurs autres, Claude Bernard a devancé les théoriciens « pragmatistes » de la science.

Le Cours de philosophie positive d’Auguste Comte[1] est une des grandes œuvres de la philosophie moderne. L’idée, simple et géniale, d’établir entre les sciences un ordre hiérarchique qui va des mathématiques à la sociologie[2], s’impose à notre esprit, depuis que Comte l’a formulée, avec la force d’une vérité définitive. Si l’on peut contester sur certains points l’œuvre sociologique du maître, il n’en a pas moins eu le mérite de tracer à la sociologie son programme et de commencer à le remplir. Réformateur à la manière de Socrate, il eût été tout disposé, comme on l’a fait remarquer, à adopter la maxime socratique « connais-toi toi-même » ; mais il l’eût appliquée aux sociétés et non plus aux individus, la connaissance de l’homme social étant à ses yeux le point culminant de la science et l’objet par excellence de la philosophie. Ajou-

  1. 1798-1857.
  2. La sociologie devant faire l’objet d’une monographie spéciale, nous ne parlons ici ni de Saint-Simon, ni de Fourier, ni de Pierre Leroux, ni de Proudhon. La même raison fait que nous laissons de côté des penseurs contemporains éminents qui se sont orientés vers la sociologie : Espinas, Tarde, Durkheim, Lévy-Brühl, Le Bon, Worms, Bouglé, Simiand, Izoulet, Lacombe, Richard et beaucoup d’autres. L’œuvre de l’école sociologique française est considérable ; il faut qu’elle soit étudiée séparément. On y rattacherait l’œuvre des moralistes : Bureau, Belot, Parodi, H. Michel, Caro, Bourdeau, Rauh, Darlu, Malapert, Buisson, etc. Enfin il faudrait faire une place à part — car il ne rentre dans aucune catégorie — au penseur original qu’est G. Sorel.