Page:Revue de Paris, année 22, tome 2, 1915.djvu/241

Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
LA PHILOSOPHIE FRANÇAISE

d’être contrôlés et vérifiés par tout le monde. On trouverait, en rétablissant les anneaux intermédiaires de la chaîne, qu’à Pascal se rattachent les doctrines modernes qui font passer en première ligne la connaissance immédiate, l’intuition, la vie intérieure, comme à Descartes (malgré les velléités d’intuition qu’on rencontre dans le cartésianisme lui-même) se rattachent plus particulièrement les philosophies de la raison pure. Nous ne pouvons entreprendre ce travail. Bornons-nous à constater que Descartes et Pascal sont les grands représentants des deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne.

L’un et l’autre ont rompu avec la métaphysique des Grecs. Mais l’esprit humain ne renonce pas facilement à ce dont il a fait sa nourriture pendant bien des siècles. La philosophie grecque avait alimenté le moyen âge, grâce à Aristote. Elle avait imprégné la Renaissance, grâce surtout à Platon. Il était naturel qu’on cherchât, après Descartes, à l’utiliser en la rapprochant du cartésianisme. On devait y être porté par la tendance même des philosophes à mettre leur pensée sous une forme systématique, car le « système » par excellence est celui qui a été préparé par Platon et Aristote, définitivement constitué et consolidé par les néo-platoniciens ; et il serait aisé de montrer (nous ne pouvons entrer dans le détail de cette démonstration) que toute tentative pour bâtir un système s’inspire par quelque côté de l’aristotélisme, du platonisme ou du néo-platonisme. De fait, les deux doctrines métaphysiques qui surgirent hors de France dans la seconde moitié du xviie siècle furent des combinaisons du cartésianisme avec la philosophie grecque. La philosophie de Spinoza, si originale soit-elle, aboutit à fondre ensemble la métaphysique de Descartes et l’aristotélisme des docteurs juifs. Celle de Leibniz, dont nous ne méconnaissons pas non plus l’originalité, est encore une combinaison du cartésianisme avec l’aristotélisme, surtout avec l’aristotélisme des néo-platoniciens. Pour des raisons que nous indiquerons tout à l’heure, la philosophie française n’a jamais eu beaucoup de goût pour les grandes constructions métaphysiques ; mais quand il lui a plu d’entreprendre des spéculations de ce genre, elle a montré ce qu’elle était capable de faire, et avec quelle facilité elle le faisait. Tandis que Spi-