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LE FEU

venirs de son esprit, en une de ces formes ambiguës moitié animales et moitié divines, en un de ces génies agrestes dont la gorge se gonflait des mêmes glandes qui pendent au cou des chèvres. Une lasciveté joyeuse lui suggérait des actes et des gestes étranges, des surprises, des embûches, lui représentait l’allégresse d’une poursuite, d’une poussée à terre, d’une rapide union sur la mousse ou contre le buis inculte. Alors, il désira une créature qui lui ressemblerait, une poitrine fraîche à laquelle il pourrait communiquer son hilarité, deux jambes agiles, deux bras prêts à la lutte, une proie à capturer, une virginité à forcer, une violence à accomplir. Donatella aux reins arqués lui réapparut.

— Assez, Stelio ! Je n’ai plus de forces… Je vais tomber par terre.

La Foscarina, sentant le bord de sa robe tiré par une main qui passait à travers le buisson, jeta un cri. Elle se pencha, entrevit dans l’ombre, parmi les rameaux, la face du faune rieur. Ce rire éclata sur son âme sans l’illuminer, sans rompre l’horrible peine qui l’étreignait. Sa souffrance devint même plus aiguë, par le contraste entre cette joie toujours nouvelle et sa perpétuelle inquiétude, entre cet oubli léger et le poids de son fardeau. Elle reconnut plus clairement son erreur et la cruauté de la vie qui plaçait là, dans le lieu où elle souffrait, la figure de l’autre. À peine eut-elle, en se penchant, aperçu la face du jeune homme, qu’aussitôt, avec la même évidence, elle aperçut celle de la cantatrice qui se penchait comme elle, imitait son acte à la façon de l’ombre qui répète un geste sur une cloison éclairée. Tout se brouilla dans son esprit ; et sa pensée ne réussit pas à mettre un intervalle entre la réalité et cette image. L’autre se superposa à elle-même, l’opprima, la supprima.

— Lâche-moi ! lâche-moi ! Je ne suis pas celle que tu cherches…

Sa voix était si changée que Stelio interrompit son rire et son jeu : il retira le bras ; il se mit debout. Elle cessa de le voir. La rameuse muraille se dressait entre eux, impénétrable.

— Mène-moi dehors ! Je ne me soutiens plus, je n’ai plus de forces… Je souffre.

Il ne trouvait pas les paroles pour l’apaiser, pour la récon-