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LA REVUE DE PARIS

intérieur, l’aspect naturel des choses et cette espèce de vivante allégorie créée par sa propre angoisse.

— Stelio, où es-tu ?

Pas de réponse. Elle écouta. Elle attendit vainement. Les secondes lui semblaient des heures.

— Où es-tu ? J’ai peur.

Pas de réponse. Mais où donc s’en était-il allé ? Est-ce qu’il avait retrouvé la sortie ? Est-ce qu’il l’avait laissée là toute seule ? Voulait-il continuer ce jeu cruel ?

Une envie furieuse de hurler, de sangloter, de se jeter par terre, de se débattre, de se faire mal, de mourir, assaillit l’insensée. De nouveau elle leva les yeux vers le ciel muet. Les cimes des hautes charmilles rougeoyaient comme les sarments lorsqu’ils ne jettent plus de flammes et vont se réduire en cendres.

— Je te vois ! — dit à l’improviste la voix rieuse, dans l’ombre basse, tout près.

Elle sursauta ; elle se pencha dans l’ombre.

— Où es-tu ?

Il rit entre les feuilles, sans se montrer, comme un faune aux aguets. Ce jeu l’excitait : tous ses membres s’échauffaient et se déliaient par l’exercice de leur agilité ; et le mystère sauvage, le contact du sol, l’odeur de l’automne, la singularité de cette aventure imprévue, l’effarement de cette femme, la présence même des déités marmoréennes, mêlaient à son plaisir corporel une illusion de poésie antique.

— Où es-tu ? Oh ! ne joue plus ainsi ! Ne ris plus de cette façon ! Assez, assez !

Il s’était glissé à quatre pattes dans le buisson, tête nue. Sous ses genoux, il sentait les feuilles mortes, la mousse molle. Et, comme il respirait parmi les branches et palpitait au milieu d’elles et avait tous les sens pris par ce plaisir, la communion de sa vie avec la vie végétale se fit plus étroite, et l’enchantement de son imagination renouvela dans cet enchevêtrement de passages incertains l’industrie du premier ouvrier d’ailes, le mythe du monstre né de Pasiphaé et du Taureau, la légende attique de Thésée en Crète. Tout ce monde devint réel pour lui. Sous le rouge soir d’automne, il se transfigurait, selon les instincts de son sang et les sou-