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LE FEU

pagne, il baisait une à une les phalanges de ces doigts plus fins que les tubéreuses non épanouies. Elle frissonnait. Il la sentait frissonner à chaque touche de ses lèvres.

— Ils sentent le sel.

— Prends garde, Stelio. Quelqu’un peut nous voir.

— Il n’y a personne.

— Mais là-bas, dans les serres…

— On n’entend pas une voix. Écoute.

— Silence étrange. L’extase !

— On entend la chute d’une feuille.

— Et ce gardien ?

— Il est allé à la rencontre de quelque autre visiteur.

— Est-ce qu’il en vient ici ?

— L’autre jour, Wagner y est venu avec Daniela von Bülow.

— Ah ! oui, la nièce de la comtesse d’Agoult, de Daniel Stern !

— Entre tous ces fantômes, quel est celui avec qui s’est entretenu le grand cœur malade ?

— Qui sait ?

— Avec lui-même, avec lui seul, peut-être ?

— Peut-être.

— Regarde les vitrages des serres, comme ils brillent. Ils semblent irisés. La pluie, le soleil et le temps les peignent ainsi. Ne dirait-on pas qu’il s’y mire un lointain crépuscule ? Tu t’es peut-être arrêtée, un jour, sur le quai Pesaro, à regarder la belle pentaphore des Évangélistes. Si tu levais les yeux, tu voyais les verrières du palais peintes merveilleusement par les intempéries.

— Tu connais tous les secrets de Venise, toi !

— Pas tous encore.

— Quelle chaleur, ici ! Regarde comme les cèdres sont grands. Il y a un nid d’hirondelle suspendu à la poutre, là.

— Elles sont parties tard, cette année, les hirondelles.

— Est-ce vrai, qu’au printemps tu me conduiras sur les Monts Euganéens ?

— Oui, Fosca, je le voudrais.

— Le printemps est si loin !

— La vie peut encore être douce.