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LA REVUE DE PARIS

une fois ; ils se chercheront, se rencontreront encore. Elle n’est pas l’âme obscure qui se perd dans la multitude ou disparaît par un sentier détourné. Elle possède un don qui resplendit comme un astre et qui toujours la fera reconnaître de loin : son chant. Le prodige de sa voix lui servira de signal. Cette vertu qui est sienne, elle la fera certainement valoir dans le monde : elle passera, elle aussi, au milieu des hommes en laissant derrière elle un sillage d’admiration. Comme elle a la beauté, elle aura la gloire : deux phares dont l’appel attirera facilement Stelio. Ils se sont rencontrés une fois, ils se rencontreront encore. »

L’affligée se courba comme sous un joug. À ses pieds, les brins d’herbe recevaient les rayons et semblaient les retenir, de sorte qu’ils respiraient dans une lumière verte colorée par eux-mêmes de leur calme transparence. Elle sentit les pleurs monter à ses yeux. À travers ce voile, elle regarda la lagune, qui trembla de ce tremblement. Une clarté de perle était comme une béatitude des eaux. Les îles de la folie, San-Clemente et San-Servilio, étaient enveloppées dans une pâle vapeur ; et, de temps à autre, elles envoyaient à travers le lointain des cris sourds, comme de naufragés perdus dans la bonace, auxquels répondait tantôt le hurlement d’une sirène, tantôt la rauque risée des mouettes éparses. Le silence devenait terrible, puis se faisait très doux.

Elle retrouva sa bonté profonde. Elle retrouva sa tendresse pour la belle créature en qui elle avait naguère trompé son besoin d’aimer Sofia, la bonne sœur. Elle repensa aux heures passées dans la villa solitaire, sur cette colline de Settignano où Lorenzo Arvale créait ses statues dans la plénitude de la force et de la ferveur, ignorant le coup de foudre qui allait le frapper. Elle revécut ce temps-là, revit ces lieux : — elle posait devant le fameux artiste qui la modelait dans la glaise, et Donatella chantait quelque chanson ancienne, et l’esprit du chant animait le modèle et l’effigie, et ses propres pensées et la pure voix et le mystère de l’art composaient une apparence de vie divine, dans ce grand atelier ouvert de toutes parts à la clarté du ciel et d’où l’on apercevait, au fond de la vallée printanière, Florence et son fleuve.

Outre le reflet de Sofia, quelle autre chose encore l’avait