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LA REVUE DE PARIS

un bond formidable, s’élança vers la proie illusoire avec toute la véhémence de son instinct réveillé. En une seconde il l’atteignit ; il s’arrêta, déçu ; il demeura en arrêt, plié sur les pattes antérieures, le cou allongé ; puis, de nouveau, il bondit, se mêla aux jeux de la bande qui l’avait suivi en grand désordre, se prit de querelle avec Altaïr ; puis, le museau dressé, il poursuivit en aboyant un vol de moineaux qui, de la cime du pin, s’élevaient dans l’azur avec un gai frou-frou d’ailes.

— Une courge ! une courge ! — criait l’imposteur parmi les éclats de rire. — Pas même un lapin ! Pauvre Donovan ! Un coup de dent sur une citrouille ! Ah ! pauvre Donovan, quelle humiliation ! Prenez garde, lady Myrta, que, de honte, il n’aille se noyer dans le canal.

Prise par la contagion de l’hilarité, la Foscarina riait avec lui. Sa robe rouanne et les robes des lévriers brillaient au soleil oblique sur le vert du trèfle. La blancheur de ses dents et son rire sonore lui emplissaient la bouche d’une jeunesse nouvelle. L’ennui du jardin séculaire se déchirait comme les toiles d’araignée quand une main violente ouvre une fenêtre depuis longtemps close.

— Voulez-vous Donovan ? — dit lady Myrta, avec une grâce malicieuse qui était celle de son âme et qui se perdit dans ses rides comme un ruisseau dans un ravin. — Je connais, je connais votre art…

Stelio cessa de rire, et il rougit comme un enfant.

Un flot de tendresse gonfla le sein de la Foscarina, pour cette rougeur puérile. Tout entière elle étincela d’amour. Et un désir fou de prendre l’aimé entre ses bras fit trembler ses poignets, ses lèvres.

— Le voulez-vous ? — demanda de nouveau lady Myrta, heureuse de pouvoir donner et reconnaissante à celui qui savait recevoir le don avec un plaisir si frais et si vivace. — Donovan est à vous !

Avant de dire merci, Stelio chercha des yeux le lévrier avec une sorte d’angoisse. Il le revit splendide, puissant, très beau, avec l’empreinte du style sur chacun de ses membres, comme si Pisanello l’avait dessiné pour le revers d’une médaille.

— Mais Gog ? Qu’est-il advenu de Gog ? Vous ne nous en