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LA REVUE DE PARIS

— regardez ! — presque pareille à celle d’un rat, sert de gouvernail à l’animal et lui est nécessaire pour tourner quand le lièvre fait un crochet. Vérifions, Donovan, si en cela aussi tu es parfait.

Il prit la pointe de la queue, la passa sous la cuisse, la tira vers l’os de la hanche, parvint à lui faire toucher exactement l’apophyse.

— Oui, parfait ! Un jour, j’ai vu un Arabe de la tribu d’Arbâa prendre cette mesure sur son sloughi. Ali-Nour, tremblais-tu, quand tu apercevais le troupeau des gazelles ? Figurez-vous, Foscarina : le sloughi tremble quand il découvre la proie ; il tremble comme un roseau, et tourne vers son seigneur des yeux doux et suppliants, pour qu’on le détache ! Je ne sais pourquoi cela me plaît et m’émeut si fort. Terrible est en lui le désir de tuer ; tout son corps est prêt à se détendre comme un arc ; et il tremble ! Non de peur, non d’incertitude ; il tremble de ce désir. Ah ! Foscarina, si vous voyiez en ce moment-là un sloughi, vous ne manqueriez pas de lui dérober sa façon de trembler, et vous sauriez la rendre humaine par votre art tragique, et vous donneriez encore aux hommes un nouveau frisson… Sus ! Ali-Nour, torrent de rapidité dans le désert ! Te souvient-il d’avoir ainsi tremblé ? Maintenant, tu ne trembles que de froid…

Allègre et mobile, Stelio lâcha Donovan, prit entre ses mains la tête serpentine du tueur de gazelles et le regarda au fond de ces pupilles où flottait la nostalgie des pays torrides et silencieux, des tentes déployées après l’étape aux mirages trompeurs, des feux allumés pour le repas du soir sous les larges étoiles qui semblent vivre dans la palpitation du vent à la cime des palmiers.

— Des yeux de rêve et de mélancolie, de courage et de fidélité ! Avez-vous jamais songé, lady Myrta, que le lévrier aux beaux yeux est précisément le mortel ennemi des animaux aux beaux yeux, comme la gazelle et le lièvre ?

La Foscarina était entrée dans ce corporel enchantement d’amour par où il semble que les confins de la personne se dilatent et se fondent dans l’air, si bien que toutes les paroles et tous les actes de l’aimé suscitent chez l’amante un tremblement plus doux que n’importe quelle caresse. Le jeune