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LA REVUE DE PARIS

— Ah ! voilà Stelio ! — s’écria lady Myrta, en apercevant le jeune homme qui apparaissait entre les lauriers.

L’amante se retourna, rapide, colorée de rougeur. Les lévriers se levèrent, dressèrent les oreilles. La rencontre des deux regards eut un jaillissement d’éclair. Encore une fois, comme toujours en présence de la créature merveilleuse, l’aimé avait la divine sensation d’être enveloppé tout à coup dans un éther enflammé, dans un vibrant effluve qui semblait l’isoler de l’atmosphère commune et en quelque sorte le ravir. Ce prodige d’amour, il l’avait un jour associé à une image physique, en se rappelant que, certain soir lointain de son enfance, comme il traversait un terrain solitaire, il s’était vu enveloppé soudain par des feux follets et avait jeté un cri.

— Vous étiez attendu par tout ce qui vit dans cette enceinte, — lui dit lady Myrta, avec un sourire qui dissimulait le trouble de ce pauvre cœur juvénile emprisonné dans ce vieux corps infirme, au spectacle de l’amour et du désir. — En venant, vous avez obéi à un appel.

— C’est vrai, — dit le jeune homme, qui déjà tenait par le collier Donovan accouru près de lui en souvenir des habituelles caresses. — Le fait est que j’arrive de fort loin. Devinez d’où ?

— D’un paysage de Giorgione !

— Non ; du cloître de Santa-Apollonia. Connaissez-vous le cloître de Santa-Apollonia ?

— C’est votre invention d’aujourd’hui ?

— Mon invention ? Nullement ; c’est un cloître en pierre, un cloître véritable, avec ses colonnettes et son puits.

— Cela est possible ; mais tous les lieux que vous regardez deviennent vos inventions, Stelio !

— Ah ! lady Myrta, ce cloître est un joyau que je voudrais vous donner, que je voudrais transporter ici, dans votre jardin ! Imaginez un petit cloître secret, ouvert sur une ordonnance de colonnes accouplées et exténuées comme les sœurs qui se promènent au soleil pendant le jeûne, très délicates, ni blanches, ni grises, ni noires, mais de la plus mystérieuse couleur qu’ait jamais donnée à la pierre ce grand maître coloriste, le Temps ; et, au milieu, un puits ; et, sur la margelle usée par la corde, un seau sans fond. Les nonnes